Villejuif, le 31 janvier 2024
Revue Nature
Une vision innovante de la classification des cancers est indispensable pour la recherche et les patients
De l’organisation des hôpitaux aux spécialisations des oncologues, en passant par la structuration des sociétés savantes, des agences sanitaires ou encore des essais cliniques, l’intégralité de la cancérologie repose aujourd’hui sur une segmentation des patients en fonction de l’organe dans lequel est apparu en premier la maladie. Une personne est atteinte d’un cancer du foie, du poumon, ou encore du pancréas, et ceci même si son cancer s’est propagé à d’autres organes. Dans un article publié dans la revue Nature, des médecins-chercheurs de Gustave Roussy et de l’Université Paris-Saclay expliquent pourquoi il est impératif d’évoluer vers une classification biologique des cancers métastatiques, et comment la segmentation actuelle empêche parfois l’accès à des traitements innovants pour des millions de malades dans le monde.
Article en ligne : https://www.nature.com/articles/d41586-024-00216-3
« La classification qui fait autorité en oncologie, reposant sur l’organe dans lequel est apparu le cancer, ne correspond plus aux avancées thérapeutiques réalisées ces dernières années. Pire, elle est désormais parfois un frein qui empêche certains patients d’accéder à un traitement adapté. Plus de 80 ans après la création de la classification TNM par Pierre Denoix, ancien directeur général de Gustave Roussy, il est aujourd’hui crucial d’adopter une approche moléculaire des cancers métastatiques, en lien avec les avancées de la recherche », explique le Pr Fabrice Barlesi, directeur général de Gustave Roussy.
Avec le développement de l’oncologie de précision, fondée sur le profilage moléculaire de la tumeur et sa caractérisation biologique et immunitaire pour déterminer les traitements, la classification actuelle, qui différencie les cancers selon leur organe d’origine, montre ses limites. De nombreuses recherches ont mis en lumière des caractéristiques communes partagées par plusieurs types de cancers d’organes à l’instar de la mutation du gène suppresseur de tumeur TP53, qui contrôle la croissance et la division des cellules.
Ainsi, au sein d’un même type de cancer d’organe, plusieurs sous-groupes correspondant à une réalité moléculaire et biologique différente de la maladie co-existent. Parmi les patients atteints d’un cancer du poumon, certains sont porteurs d’une mutation du gène MET, d’autres de l’EGFR, et les exemples peuvent être multipliés. Du côté des traitements, les anticorps-conjugués, qui visent les protéines membranaires exprimées dans plusieurs types de cancers afin d’acheminer la chimiothérapie aux cellules cancéreuses, ont déjà montré des résultats encourageants dans des essais cliniques de phase I et II, pour traiter des patients qui sur-expriment la protéine HER2. Et ceci sans que n’entre en compte l’organe d’origine de la maladie. Autant d’arguments qui appuient la nécessaire requalification des cancers métastatiques, c’est à dire ceux propagés à distance, ailleurs que dans l’organe d’origine, et qui comptent pour environ 60 à 90 % des décès par cancer.
En plus de présenter certaines limites, la classification actuelle empêche des millions de patients d’accéder à un traitement innovant. Par exemple l’olaparib, inhibiteur de PARP, a pour la première fois été évalué dans un essai clinique de pan-tumeur phase I en 2014, au cours duquel il a montré des signes d’efficacité chez les patients présentant une mutation BRCA. En 2014, la FDA a donné au traitement une autorisation de mise sur le marché, mais uniquement pour les cancers ovariens ; une autorisation qui a été élargie en 2018 aux cancers du sein, et en 2020 seulement aux cancers du pancréas et de la prostate. Ces retards pris dans l’octroi des autorisations s’expliquent par la segmentation des essais cliniques, qui doivent démontrer leur efficacité par type d’organe d’origine du cancer. Les essais cliniques concernant les anti-PD1/PDL1, immunothérapie particulièrement active chez les patients dont les cellules cancéreuses expriment un taux élevé de la protéine PD-L1, ont également été segmentés, après la phase I, par organe d’origine, retardant la mise sur le marché du traitement pour des milliers de patients.
Ce que cette nouvelle classification implique
Les essais cliniques de phase III, qui permettent d’obtenir une autorisation de mise sur le marché, nécessitent un nombre important de patients et il peut être difficile de recruter un nombre suffisant de malades tous porteurs de la même spécificité biologique conjointe à une histologie dans un organe d’origine similaire pour atteindre une puissance statistique significative. Transformer la classification des cancers permettra donc aussi de rationaliser et limiter le nombre d’essais cliniques et induira également une nouvelle manière d’enseigner l’oncologie avec une simplification majeure pour les futurs étudiants, tout comme pour les patients.
Néanmoins, classifier les cancers selon leur réalité moléculaire nécessite de mettre à disposition des patients et des médecins/chercheurs des méthodes de profilage moléculaire efficaces et abordables. Le plan France Médecine Génomique 2025 et le déploiement des plateformes de séquençage sur le territoire vont dans ce sens. L’intelligence artificielle a aussi ici un rôle à jouer. Dans le futur, elle sera capable d’identifier à faible coût des anomalies génétiques à partir de lames d’histologie des patients. Faire évoluer la classification des cancers est une première étape vers l’oncologie de précision pour chacun, qui ouvre un vaste champ de recherche, pour une compréhension biologique profonde des mécanismes des cancers.
Source
Nature
The way we name cancers needs to change
Comment publié le 31 janvier 2024
DOI : 10.1038/d41586-024-00216-3