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1er centre de lutte contre le cancer en Europe, 4 000 professionnels mobilisés

26/07/2024

5 questions à Lluis M. Mir sur l’éléctrochimiothérapie

Biologiste, directeur de recherche de classe exceptionnelle au CNRS, à la tête jusqu’en 2019 du laboratoire de vectorologie et thérapies anticancéreuses (CNRS, Université Paris-Saclay et Gustave Roussy), Lluis M. Mir a développé avec ses équipes l’électrochimiothérapie, une technique qui consiste à rendre perméable des cellules cancéreuses grâce à des impulsions électriques. Alors qu’il vient de recevoir le prestigieux prix d’Arsonval en bioélectromagnétisme, il revient sur cette avancée, aujourd’hui utilisée dans le monde entier.

5 questions à

Pouvez-vous revenir sur la chronologie de votre découverte ?

Lluis M. Mir En 1985, je cherchais à rendre immortelles des cellules très fragiles, en y introduisant des gènes récemment découverts. Avec les méthodes de l’époque, je n’y arrivais pas. On m’a un jour passé un article qui relatait l’utilisation d’impulsions électriques pour faciliter l’entrée de gènes dans des cellules. J'ai souhaité optimiser cette approche avec l’aide d’étudiants qui travaillaient à mes côtés. Nos premières expériences ont consisté à modifier les paramètres électriques. Nous sommes d’abord arrivés à montrer que, dans des bonnes conditions, pratiquement toutes les cellules pouvaient survivre aux impulsions électriques, et qu’elles devenaient transitoirement perméables. Ensuite, nous avons mené une batterie de tests avec différentes molécules anticancéreuses, pour savoir si rendre temporairement les cellules perméables pouvait augmenter la pénétration des traitements. Alors que son efficacité est normalement très limitée, c’est avec la dernière molécule testée, la bléomycine, que nous avons eu les résultats les plus intéressants. Lorsque nous l’avons combinée à un traitement par impulsions électriques, nous avons remarqué que toutes les cellules cancéreuses avaient été tuées. Nous sommes donc arrivés à la conclusion que la bléomycine est 10 000 fois plus active si la cellule est perméabilisée au préalable. À Gustave Roussy, nos expériences précliniques in-vivo ont confirmé que la combinaison bléomycine / impulsions électriques entraînait la guérison des tumeurs traitées. En 1991, nous avons appliqué l’électrochimiothérapie à notre premier patient, toujours à Gustave Roussy. Il était atteint de cinq nodules au cou. Nous avons dans un premier temps été autorisés à n’en traiter qu’un, qui a disparu au bout d’une semaine. À la demande ce premier patient, nous lui avons ensuite traité les quatre autres nodules.

La chimiothérapie permet de tuer les cellules cancéreuses, l’immunothérapie de renforcer le système immunitaire. À quoi sert l’électrochimiothérapie ?

L’électrochimiothérapie est un traitement local, mais n’est pas une méthode ablative. C’est une méthode de vectorisation d’un médicament. Il s’agit d’ouvrir la porte de la cellule à un traitement, pour renforcer son efficacité. Ce ne sont pas les impulsions électriques qui tuent les cellules. Cette technique est donc à l’opposé des autres approches physiques, comme les rayons X ou les ultrasons, qui entraînent la mort cellulaire grâce à des effets physiques, mais qui ne peuvent pas discriminer les cellules tumorales des cellules saines.

Concrètement, comment l’électricité agit sur les cellules ?

L’effet des impulsions électriques se concentre au niveau de la membrane des cellules, qui est un isolant, contrairement à ses milieux interne et externe, qui sont conducteurs. Au-dessus d’une certaine valeur électrique, des défauts vont se créer dans la membrane, par l’oxydation des lipides qui la constituent. Parallèlement, les molécules d’eau, qui sont des dipôles électriques, vont s’orienter vers la membrane et la pénétrer. Ces deux mécanismes rendent la membrane perméable. Tout ceci intervient dans un laps de temps infiniment court : en application clinique, cela se caractérise par huit impulsions électriques de 100 microsecondes chacune, pour une durée totale de traitement inférieure à une milliseconde. Les cellules restent quant à elles perméables durant environ cinq minutes.

Une fois à l’intérieur de la cellule tumorale, comment agit la bléomycine ?

Une cellule tumorale n’a qu’une seule envie, c’est de se diviser. Sinon, elle n’est pas tumorale. La bléomycine, qui va rentrer directement à l’intérieur des cellules tumorales grâce aux impulsions électriques, va opérer des coupes dans leur ADN, de façon aléatoire. Quand elles essayent de se diviser à nouveau, ces cellules tumorales n’y arrivent plus, car certains de leurs chromosomes ont été altérés. La cellule rentre alors dans un processus de mort : c’est ce qu’on appelle la mort mitotique. Très peu de molécules de bléomycine pénétrant la cellule sont nécessaires pour que cette catastrophe mitotique puisse avoir lieu. Cela explique pourquoi les doses nécessaires peuvent être très faibles.

Qu’en est-il des cellules saines ?

La bléomycine est injectée dans l’organisme par voie systémique à faible dose. Elle va se répandre, mais comme son efficacité est limitée, aucun effet secondaire n’est observé, car elle ne rentre pratiquement pas dans les cellules. Aux endroits où l’on applique les impulsions électriques, les cellules normales et tumorales vont être perméabilisées. La bléomycine va donc rentrer dans ces deux types de cellules. Cependant, les cellules saines ne cherchant pas à se diviser rapidement, les quelques coupures sur l’ADN causées par les faibles quantités de bléomycine rentrant vont être sans conséquence, et les cellules saines vont pouvoir continuer à vivre. Ceci est à la base de l’extraordinaire sélectivité de ce traitement antitumoral.