À l’occasion des 150 ans du Professeur Gustave Roussy, né le 24 novembre 1874 en Suisse, l’Institut qu’il a fondé il y a 90 ans met en lumière l’anatomo-pathologie, discipline dont il était spécialiste. Explications avec la Pr Cécile Badoual, cheffe du département de biologie et pathologie médicales de l’Institut.
L’anatomo-pathologie est une spécialité médicale qui se consacre à l’étude des tissus ou des cellules pour porter un diagnostic de maladie (infectieuse, inflammatoire ou cancéreuse) grâce à l’analyse des lésions. Le pathologiste utilise la cytologie, qui consiste à examiner et à caractériser les cellules recueillies par frottis ou ponctions par exemple, ainsi que l'histologie, qui se concentre sur l'étude des tissus obtenus lors de biopsies ou d'interventions chirurgicales. Il identifie les zones de tissu à étudier : c’est l’examen macroscopique. Les prélèvements effectués sont ensuite traités au laboratoire pour obtenir des blocs de paraffine. Des coupes ultrafines sont préparées, placées sur des lames en verre, colorées puis examinées au microscope ou sur écran après numérisation pour établir un diagnostic précis. Des techniques complémentaires permettent d’affiner ce diagnostic : immunohistochimie, hybridation in situ (FISH, CISH) …
Les pathologistes occupent une place essentielle et indispensable au sein des centres de lutte contre le cancer, car ils fournissent le diagnostic final et la caractérisation des tumeurs, indispensables pour initier les traitements. Une analyse anatomo-pathologique permet de déterminer si une tumeur est bénigne ou maligne, d’en identifier le type histologique (par exemple un carcinome ou plus précisément un adénocarcinome) et d’évaluer des indices de gravité à l’aide de biomarqueurs spécifiques, tels que le statut HER2 dans les cancers du sein. Grâce à ces analyses qui sont de plus en plus précises, les pathologistes aident les cliniciens à évaluer un pronostic et à choisir la thérapie qui sera la plus appropriée pour le patient. De plus, les différents prélèvements qui sont conservés peuvent permettre d’initier des projets de recherche, après recueil du consentement du patient, et contribuer à une meilleure compréhension des cancers pour développer la mise en place de traitements adaptés.
Être pathologiste à Gustave Roussy, c’est bénéficier d’un accès privilégié à la recherche, aux découvertes et aux innovations les plus récentes. Avec environ 50 000 patients accueillis chaque année, l’Institut dispose d’importantes cohortes pour le développement de nouveaux projets scientifiques. Le service de pathologie et de biologie médicale, parmi les plus grands de France et le plus vaste du réseau Unicancer, s’étend sur 5 000 m². Il réunit entre autres 15 pathologistes seniors, six internes, 25 techniciens de laboratoire et trois techniciens en recherche clinique. Chaque année, environ 200 000 lames histologiques y sont lues, et de nombreux centres sollicitent l’expertise de Gustave Roussy pour un second avis. L’Institut mène également des projets de recherche novateurs, tels que MOSAIC et PortrAIt, développant des outils l’intelligence artificielle en lien avec de nombreux anatomo-pathologistes.
Pourtant fille d’une anatomo-pathologiste, mon premier choix ne s'est d’abord pas porté sur cette spécialité pour mon internat. J’y suis venue pour des raisons personnelles, et bien qu’il m’ait été difficile de quitter la pratique clinique, j’ai été accompagné par des pathologistes chevronnés qui m’ont démontré qu’un bon diagnostic est indispensable pour sauver de nombreux patients. L’anatomo-pathologie est un rouage indispensable et incontournable dans le système médical et peut également apporter un épanouissement professionnel important : il s’agit d’une spécialité très complète, qui pourrait être comparée à la médecine interne exercée dans le laboratoire. De plus, elle offre de nombreuses possibilité de faire de la recherche.
Le Pr Roussy s’inscrit dans une lignée d’éminents pathologistes ayant émergé en France au début du 20e siècle. Ils avaient pour point commun d’avoir une formation initiale de clinicien, et de s’être tournés vers l’analyse des tissus ou des cellules pour mieux comprendre les causes des maladies. C’est ainsi que le Pr Roussy, d'abord neurologue, s’est tourné vers l’anatomo-pathologie, afin de comprendre et caractériser les lésions pour mieux guérir les patients. Visionnaire, il a ensuite fondé le premier centre français dédié à la prise en charge des patients atteints de cancer, persuadé que la pathologie est indispensable pour mieux appréhender la physiologie de cette maladie. Habitué à appréhender la maladie à travers ses causes, le Pr Roussy va penser cet institut comme un foyer d’investigation et de recherche, qui continue 90 ans plus tard à faire rayonner l’héritage de son fondateur. Preuve de l’importance de cette spécialité dans la cancérologie moderne, le Pr Roussy n’est pas le seul pathologiste à avoir légué son nom à un Centre de lutte contre le cancer : l’Oncopole de Toulouse porte le nom de Claudius Regaud, éminent histologiste. Nous, pathologistes, avons donc ce privilège d’être à l’interface de la clinique et de la recherche, ce qui rend notre vision de la médecine riche et incroyablement passionnante.