Villejuif, le 10 septembre 2020
New England Journal of Medicine
Le darolutamide augmente la survie des patients atteints d’un cancer de la prostate
Les hommes qui souffrent d’un cancer de la prostate non métastatique mais devenu résistant à l’hormonothérapie traditionnelle ont tout à gagner à se voir traiter précocement par le darolutamide (une hormonothérapie de nouvelle génération), confirment les résultats finaux de l’étude ARAMIS dirigée par le Pr Karim Fizazi, oncologue à Gustave Roussy. Ces nouvelles données qui sont publiées dans le New England journal of Medicine ont aussi été présentées au congrès de l’ASCO 2020. Les résultats montrent que cette hormonothérapie de nouvelle génération améliore significativement la survie globale des patients. En diminuant le risque de survenue de métastases et les complications liées à la maladie (douleur, risque d’événements osseux), elle permet de maintenir également leur qualité de vie, sans effets secondaires marquants.
Le darolutamide est l’une des trois nouvelles molécules d’hormonothérapie, de la famille des inhibiteurs du récepteur aux androgènes, expérimentées ces dernières années dans le traitement des cancers de la prostate non métastatiques. Sensibles aux hormones masculines, les cellules des cancers de la prostate utilisent ces androgènes pour se développer. Alors que les traitements standards d’hormonothérapie (agonistes et antagonistes de la LH-RH) prescrits dans le cancer de la prostate consistent à provoquer une castration chimique, en empêchant les testicules de produire de la testostérone, ces nouvelles molécules agissent sur les récepteurs situés dans les cellules tumorales. En les empêchant de fixer les androgènes, elles privent les cellules tumorales du carburant nécessaire à leur survie et à leur multiplication.
Le darolutamide, qui vient tout juste d’obtenir son autorisation européenne de mise sur le marché « change clairement la donne et devrait être prescrit précocement aux patients sans métastases, qui ne répondent plus à l’hormonothérapie classique » se réjouit le Pr Karim Fizazi, investigateur principal de l’étude ARAMIS. Ses travaux avaient déjà démontré la capacité de cette hormonothérapie de nouvelle génération de prévenir efficacement la propagation de ces cancers, augmentant de deux ans la survie sans métastases, critère d’évaluation principal de l’étude. L’analyse finale des données, avec un suivi plus long, confirme des résultats solides sur plusieurs critères d’évaluation secondaires, en démontrant formellement que ce nouveau traitement améliore aussi la survie globale des patients, diminuant la mortalité de 31 %. Il réduit aussi de 35 % le risque d’apparition de douleurs et celui de complications osseuses graves (douleurs majeures, fractures ou compressions médullaires) induits par l’apparition de métastases, sans augmenter la survenue d’effets indésirables pesant sur la qualité de vie des patients.
L’efficacité et la tolérance du darolutamide ont été évaluées depuis 2014 dans l’étude ARAMIS, pilotée par le Pr Karim Fizazi. Cet essai comparatif de phase III, mené en double aveugle contre placebo et promu par le laboratoire Bayer, a été conduit dans 409 centres de 36 pays. Il a inclus 1 509 patients, atteints d’un cancer de la prostate non métastatique, souvent en rechute après traitement local et devenu résistant à l’hormonothérapie conventionnelle. Chaque année, 50 000 hommes environ se voient diagnostiquer un cancer de la prostate en France. La maladie est déjà au stade métastatique chez 10 % d’entre eux. Pour la grande majorité des malades sans métastases, la guérison sans rechute sera acquise grâce à un traitement local, éventuellement couplé à une hormonothérapie. Chez un tiers des malades sans métastases, le cancer rechute cependant sous forme d’une élévation du PSA sanguin et l’hormonothérapie traditionnelle est souvent utilisée à ce stade. L’hormonothérapie classique peut se heurter à une résistance exposant environ 1 000 à 2 000 patients par an à une seconde rechute marquée de nouveau par une élévation du PSA sanguin, alors que le cancer reste indétectable par l’imagerie conventionnelle.
L’inclusion des patients dans l’étude ARAMIS se fondait sur leur taux de PSA, supérieur à 2 ng/ml et doublant rapidement, en moins de dix mois. Cette rapidité d’augmentation est un marqueur de mauvais pronostic. Il signale que non seulement le cancer est devenu résistant au traitement standard mais aussi que la maladie risque de devenir métastatique dans les deux ans. Le patient ne manifeste habituellement aucun symptôme. Le problème majeur est qu’à ce stade, parce qu’elle est encore très localisée, ou les métastases trop petites, la propagation du cancer n’est pas encore visible sur l’imagerie classique, par scanner ou scintigraphie osseuse. Jusqu’à l’arrivée des inhibiteurs du récepteur aux androgènes, « on se trouvait dans une situation terrible, souligne le Pr Karim Fizazi : les patients voyaient leur taux de PSA augmenter et nous n’avions pas d’autre choix que d’attendre l’évolution métastatique, avant de pouvoir débuter un traitement adapté ».
Les patients inclus dans l’étude ARAMIS, étaient en moyenne âgés de 74 ans, « soit une situation similaire aux cas de la vraie vie, ce qui ajoute du poids à cette étude » appuie le Pr Fizazi. Aléatoirement répartis en deux groupes, ils se sont vus prescrire un traitement par voie orale deux fois par jour. Les uns recevaient 2 comprimés de 300 mg de darolutamide deux fois par jour, tandis que ceux du groupe contrôle recevaient un placebo. Tous poursuivaient en parallèle l’hormonothérapie traditionnelle et ils étaient revus en consultation d’évaluation toutes les 16 semaines.
Les données intermédiaires, initialement présentés en février 2019 au congrès spécialisé dans les cancers génito-urinaires de l’ASCO à San-Francisco et simultanément publiés dans le NEJM démontraient que le darolutamide diminue de 59 % le risque de propagation de la maladie ou de décès, permettant une médiane de survie sans métastase de 40,4 mois, contre 18,4 mois dans le groupe placebo. Devant la puissance des résultats obtenus sur ce critère principal d’évaluation, les chercheurs ont décidé de poursuivre l’étude en levée d’aveugle, après avoir informé malades et médecins du traitement effectivement reçu durant la première phase. 170 patients du groupe contrôle, éligibles à l’administration d’un inhibiteur du récepteur aux androgènes, ont accepté d’être ouvertement traités à leur tour par le darolutamide, tandis que ceux qui avaient développé des métastases recevaient le traitement habituellement employé dans cette situation.
Au terme de 11 mois de suivi supplémentaire, soit 29,1 mois au total depuis le début de l’étude, les données finales, outre qu’elles confirment l’amélioration de la survie sans métastases, permettant de retarder le moment où un traitement par chimiothérapie devient nécessaire, montrent une réduction du risque de décès de 31 %, avec un taux de survie globale de 83 % à 3 ans dans le groupe darolutamide, contre 77 % dans le groupe contrôle.
Elles confirment également les données déjà dévoilées au congrès de l’ASCO 2019, montrant de manière formelle la supériorité de ce traitement par rapport au placebo, pour réduire les risques de douleurs et de fractures liés à l’apparition de métastases osseuses. La tolérance du darolutamide se révèle elle aussi satisfaisante au terme de l’étude : les effets indésirables (fatigue, hypertension, confusion mentale exposant au risque de chutes) constatés parfois avec d’autres médicaments, n’apparaissent pas plus fréquents dans le groupe darolutamide. Parce qu’elle ne franchit pas la barrière hémato-encéphalique, cette nouvelle molécule semble même présenter un avantage supplémentaire, par rapport aux deux autres (enzalutamide et apalutamide) de cette nouvelle classe d’inhibiteurs du récepteur aux androgènes. « Précédemment évalués dans deux essais (PROSPER et SPARTAN), ils montrent par ailleurs des bénéfices similaires, mais aussi des effets secondaires que ne semble pas présenter le darolutamide » analyse le Pr Fizazi.
Source
▶ Darolutamide in Nonmetastatic, Castration-Resistant Prostate Cancer
New England Journal of Medicine du 9 septembre 2020
Karim Fizazi, M.D., Neal Shore, M.D., Teuvo L. Tammela, M.D., Ph.D., Albertas Ulys, M.D., Egils Vjaters, M.D., Sergey Polyakov, M.D., Mindaugas Jievaltas, M.D., Murilo Luz, M.D., Boris Alekseev, M.D., Iris Kuss, M.D., Marie-Aude Le Berre, M.Sc., Oana Petrenciuc, M.D., Amir Snapir, M.D., Ph.D., Toni Sarapohja, M.Sc., and Matthew R. Smith, M.D., Ph.D.,
The complete list of investigators in the ARAMIS trial is provided in the Supplementary Appendix, available at NEJM.org.
Affiliations : Institut Gustave Roussy, University of Paris-Saclay, Villejuif (K.F.), and Bayer Healthcare SAS, Loos (M.-A.L.B.) — both in France ; Carolina Urologic Research Center, Myrtle Beach, SC (N.S.); Tampere University Hospital and Tampere University, Tampere (T.L.T.), and Orion Pharma, Espoo (A.S., T.S.) — both in Finland; the National Cancer Institute, Vilnius (A.U.), and the Lithuanian University of Health Sciences, Medical Academy, Kaunas (M.J.) — both in Lithuania; Stradins Clinical University Hospital, Riga, Latvia (E.V.); N.N. Alexandrov National Cancer Centre of Belarus, Minsk (S.P.); Hospital Erasto Gaertner, Curitiba, Brazil (M.L.); the National Medical Research Radiological Center, Ministry of Health of the Russian Federation, Moscow (B.A.); Clinical Statistics, Bayer, Berlin (I.K.); Bayer Healthcare, Whippany, NJ (O.P.), and the Massachusetts General Hospital Cancer Center, Boston (M.R.S.).