Immunothérapie : les vaccins thérapeutiques
Lors de la dernière décennie, la révolution entraînée par l’immunothérapie en cancérologie a permis des avancées majeures au bénéfice du patient. Les chercheurs ne visent plus uniquement à s’attaquer directement aux cellules cancéreuses, comme le font la chimiothérapie ou la radiothérapie, mais à renforcer le système immunitaire du malade pour qu’il les élimine lui-même.
Cette approche ouvre des perspectives dans le champ de la vaccination thérapeutique contre le cancer. Longtemps vu comme un objectif lointain, l’élaboration de tels outils pour s’attaquer aux cellules cancéreuses et éviter les rechutes devient aujourd’hui concret. À Gustave Roussy, premier pôle européen de lutte contre le cancer, plusieurs essais cliniques sont menés pour évaluer l’efficacité de ces nouveaux traitements, conjointement avec des travaux en recherche fondamentale.
Les médecins-chercheurs se concentrent principalement sur les lymphocytes T, qui font partie de notre système immunitaire. Ils sont capables de tuer des cellules cancéreuses via le déversement de granules cytotoxiques, mais ne sont bien souvent pas présents en quantités suffisantes ou pas assez efficaces pour mener à bien leur mission, et sont victimes de l’échappement immunitaire développé par les tumeurs.
En partant de ces mécanismes, le principe est d’injecter au malade des informations sur les antigènes exprimés par leurs cellules cancéreuses. Ces informations peuvent être inoculées avec un vaccin peptidique, un vaccin à ARN messager ou vaccin à vecteur viral. L’objectif est d’entraîner les lymphocytes T à reconnaître les antigènes exprimés par les cellules tumorales, pour qu’ils se multiplient et les attaquent en masse. Actuellement, deux voies sont explorées : les vaccins personnalisés, élaborés en laboratoire pour chaque patient, et les vaccins génériques, visant des antigènes communs exprimés par un même groupe de malades, identifiés en amont. Dans la plupart des cas, une immunothérapie plus classique basée sur le déblocage des points de contrôle immunitaire sera administrée en complément.
Principe Entraîner les cellules immunitaires du patient à mieux reconnaître Exemple On injecte au patient des ARN messagers qui correspondent aux |
La recherche clinique
À Gustave Roussy, où un quart des 50 000 patients reçus chaque année participe à une étude clinique, plusieurs travaux visent à mesurer l’efficacité de nouveaux candidats-vaccins thérapeutiques.
- Le vaccin mRNA-4157 de Moderna, Inc. et Merck. Ce candidat vaccin est évalué en essai de phase III à l’Institut. “Il s’agit d’une vaccination personnalisée, avec un essai clinique où sont éligibles les patients atteints d’un mélanome qui a été opéré. Le laboratoire, à partir d’un échantillon tumoral, va identifier les mutations nouvelles qui sont apparues dans l’organisme, les néoantigènes. Le vaccin va ensuite être fabriqué assez vite, entre 6 à 8 semaines, pour déboucher sur un séquençage de l’ARN qui code les antigènes ciblés. Le système immunitaire va les reconnaître et le cibler. L’essai clinique a débuté fin 2023 à Gustave Roussy, et concerne une dizaine de patients de l’Institut”, explique la Pr Caroline Robert, cheffe du service de Dermatologie à Gustave Roussy. Dans l'essai de phase IIB, sur les 107 patients qui ont reçu la combinaison vaccin et immunothérapie, une réduction de 44% du risque de récidive ou de décès a été constaté, par rapport aux malades ayant simplement reçu une immunothérapie.
- Le vaccin IO102-IO103 développé par IOBIOTECH. Il s’agit d’un vaccin contre les mélanomes métastatiques, également évalué en phase III à l’Institut. Il est développé pour activer et multiplier les lymphocytes T propres à l’enzyme IDO et à la protéine PD-L1, qui sont surexprimés dans de nombreux types de tumeurs solides et de cellules immunosuppressives. Combiné au nivolumab, une immunothérapie anti-PD1, ce vaccin a démontré des premiers effets encourageants dans des essais de phase I et II.
- Le vaccin Tedopi d’Ose Immunotherapeutics. Un premier essai clinique de phase III a été coordonné par le Pr Benjamin Besse, pour évaluer ce traitement destiné aux malades atteints d’un cancer du poumon non à petites cellules. “C’est un vaccin protéique qui cible cinq protéines d’intérêt dans le cadre du cancer du poumon. Le but est d’éduquer le système immunitaire à reconnaître ces protéines. Nous nous sommes rendu compte que sur l’ensemble des patients, le vaccin ne fait pas mieux que la chimiothérapie. Mais dans la sous-population de patients qui a eu un bénéfice à l’immunothérapie, on note un bénéfice du vaccin”, explique-t-il. Un nouvel essai de phase III, ARTEMIA, est en cours de recrutement, toujours coordonné par le Pr Benjamin Besse. Il vise cette fois à évaluer l’efficacité de Tedopi exclusivement sur une sous-population de patients réceptive à l’immunothérapie.
Un autre essai clinique est en cours pour juger l’efficacité de Tedopi sur les cancers de l’ovaire. L’étude Tedova est coordonnée par la Dr Alexandra Leary, oncologue médicale à Gustave Roussy. - Le vaccin EO2401 d’Enterome. Ce vaccin s’adresse aux patients atteints d’un carcinome corticosurrénal localement avancé ou métastatique, ou d’un phéochromocytome malin/paragangliome. Le Dr Éric Baudin est l'investigateur principal de l’étude Spencer, qui vise à évaluer EO2401. Il s’agit d’un vaccin peptidique qui cible trois antigènes exprimés par les cellules des tumeurs surrénaliennes, avec pour objectif d’entraîner une réponse immunitaire. De premiers résultats intermédiaires ont montré des résultats plus qu’encourageants.
La recherche fondamentale
À Gustave Roussy, où la recherche à fort impact sociétal joue un rôle majeur, des chercheurs travaillent à l’élaboration de vaccins thérapeutiques pour lutter contre le cancer.
- Le Dr Sébastien Apcher est à la tête de l’équipe “Epitopes non-conventionnels et réponse immunitaire anti-cancéreuse”, rattachée à l’UMR 1015 “Immunologie des tumeurs et immunothérapie contre le cancer”. L’objectif est l’élaboration d’un vaccin dans un premier temps contre le cancer du côlon et le cancer du pancréas.
Les travaux entrepris reprennent les avancées faites en vaccination anticancéreuse, en se concentrant sur les antigènes exprimés par les cellules cancéreuses, pour entraîner une réponse immunitaire chez le malade.
La spécificité de ce vaccin repose sur le type d’épitope, soit la partie de l’antigène qui entraîne une réaction immunitaire, injecté chez le patient. Le docteur Apcher et son équipe ont réussi à montrer le rôle immunogène de certains épitopes non-conventionnels qu'ils ont pu retrouver à la surface des cellules tumorales.
L'analyse des tumeurs de plusieurs patients a révélé l'identification de 20 épitopes non-conventionnels communs, dont certains sont susceptibles de déclencher une réponse immunitaire robuste. Parmi ces épitopes, certains, présents chez des patients atteints de cancer du côlon, ont démontré la capacité d'induire une réponse immunitaire chez des patients affectés par les cancers du côlon et du pancréas. Cette constatation suggère que certains épitopes présents chez des patients atteints de cancer du côlon pourraient également être exploités contre les patients atteints de cancer du pancréas.
De premiers essais in vivo ont démontré que la vaccination avec des épitopes non-conventionnels peut induire une activation spécifique des lymphocytes T, et un défaut de la croissance tumorale. Le Dr Apcher et son équipe continuent actuellement leurs recherches pour consolider leurs travaux sur les épitopes non-conventionnels. Un brevet va prochainement être déposé, avec pour objectif de tester le vaccin sur des organoïdes du côlon et du pancréas. À terme, il envisage de faire la transition d'un vaccin peptidique vers un vaccin à ARN messager.
- La Dr Fathia Mami-Chouaib est à la tête de l’UMR 1186 (Unité Mixte de Recherche Gustave Roussy/Inserm/Université Paris-Saclay), " Immunologie intégrative des tumeurs et immunothérapie du cancer”. Le premier thème de recherche de cet UMR se concentre sur l’élaboration d’un vaccin contre le cancer du poumon, appuyé par une spin-off Gustave Roussy, la start-up ElyssaMed. “Nous utilisons la PPCT, qui est un antigène tumoral. Notre objectif est de vacciner le patient avec cet antigène pour activer des lymphocytes spécifiques à sa destruction. Bien souvent, les patients possèdent des lymphocytes, mais en trop petit nombre. Cette vaccination va venir activer les lymphocytes, pour les forcer à se multiplier”, explique la Dr Fathia Mami-Chouaib.
Son laboratoire a déjà apporté des preuves d’efficacité du vaccin in vitro et in vivo. L’ensemble du travail pré-clinique a été réalisé, et de premiers échanges avec des cliniciens de l’Institut ont été menés. Le projet de recherche a reçu le Grand Prix de l’innovation de la mairie de Paris, ainsi que le concours d’innovation i-Lab porté par BPI France et la Bourse French Tech Emergence.
“Ce qui est intéressant avec notre vaccin, c’est qu’il permet de cibler les cellules tumorales qui ont essayé d’échapper au système immunitaire”, poursuit Fathia Mami-Chouaib. “Notre antigène est modifié par une voie alternative, différente de la voie classique. Il permet donc de cibler les cellules tumorales qui se rendent invisibles”.