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Villejuif, le 17 juillet 2018

Pour la première fois, des chercheurs établissent "l'arbre généalogique" de la leucémie myéloïde aiguë chez des patients sous enasidenib

Pour la première fois, une équipe de chercheurs internationaux a établi l’organisation clonale des cellules cancéreuses de patients atteints de leucémie aigüe myéloïde (LAM) à l'occasion d'un traitement ciblé. L’objectif était de comprendre comment des LAM présentant une mutation du gène IDH2 réagissent à un nouveau médicament, l’enasidenib qui n’agit que sur ce type de mutation, et comment ces LAM échappent éventuellement au traitement. Les résultats suggèrent que l’association de l’enasidenib avec d’autres anticancéreux permettra d’obtenir plus de réponses et des réponses plus durables.

L’étude publiée dans Nature Medicine (publication avancée en ligne - https://www.nature.com/articles/s41591-018-0115-6) est le fruit d’une collaboration internationale entre des médecins et chercheurs de Gustave Roussy, de l’Inserm, du MRC Molecular Haematology Unit, du Weatherall Institute of Molecular Medicine de l’Université d’Oxford (Royaume-Uni), du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (États-Unis) et des laboratoires pharmaceutiques Celgene et Agios (États-Unis).

La LAM est un cancer du sang rare mais agressif. Environ 12 à 15 % des patients atteints d’une LAM présentent une mutation du gène IDH2 qui empêche les cellules de la moelle osseuse de se différencier normalement et de devenir des cellules sanguines matures et fonctionnelles. Des cellules anormales et immatures s’accumulent alors dans la moelle osseuse. De précédentes recherches menées par la même équipe [2] avaient montré que l’enasidenib permettait la re-différenciation des cellules et restaurait la production normale des cellules sanguines.

Un essai clinique de phase I/II a précédemment démontré que le médicament était efficace chez 40 % des patients atteints de LAM qui présentaient une mutation du gène IDH2, réfractaires ou en rechute de précédents traitements. Ces excellents résultats ont conduit la FDA (Food and Drug Administration) à délivrer en 2017 une autorisation de mise sur le marché à l’enasidenib. Toutefois, les patients rechutent après une durée moyenne de neuf mois de traitement.

« L’enasidenib est un traitement majeur pour nos patients atteints de LAM portant la mutation du gène IDH2. Les précédentes études n’avaient pas identifié précisément quelles cellules se différenciaient à nouveau sous enasidenib. Nous n’avions également pas recherché comment les cellules devenaient résistantes au traitement », a indiqué le Dr Stéphane de Botton, médecin hématologue et investigateur principal de l’essai au sein du département de l’innovation thérapeutique et essais précoces (DITEP) de Gustave Roussy. « Nous souhaitions répondre à ces questions. »

A partir des échantillons de 37 patients ayant répondu à l’enasidenib lors de l’essai de phase I/II [2], l’équipe a étudié les marqueurs à la surface des cellules de la moelle osseuse afin d’en identifier les différentes populations cellulaires : des cellules immatures, indifférenciées, appelées cellules progénitrices, aux cellules matures, différenciées.

« La moelle osseuse est l’équivalent d’une “chaîne de montage” qui doit constamment produire des cellules sanguines matures », a expliqué le Dr Lynn Quek, co-auteur des travaux, clinicienne-chercheuse au MRC et hématologue consultante au MRC Weatherall Institute of Molecular Medicine. « Chez un patient atteint de LAM et non traité, cette chaîne de montage se bloque. À l’aide de techniques de pointe, nous avons étudié les cellules de la moelle osseuse de patients traités par l’enasidenib. Nous souhaitions identifier les mécanismes conduisant au blocage de cette chaîne de montage et comprendre comment le traitement entrainait la re-différenciation des cellules. »

La LAM étant due à des erreurs, ou mutations, dans les séquences d’ADN des cellules sanguines, l’équipe a analysé leur ADN. Il est apparu que les cellules de LAM d’un même patient pouvaient être regroupées en familles, aussi appelées clones, selon les mutations génétiques communes qu'elles portent. Les cellules appartenant au même clone sont issues de la même cellule progénitrice. Il est important de comprendre comment les clones proviennent les uns des autres, car cela fournit des informations sur le déclenchement de la LAM.

« À partir d’échantillons de patients obtenus par biopsie de moelle osseuse, nous établissons une photographie de l’arbre généalogique des cellules leucémiques », a indiqué le Dr Quek. « Après traitement d’un patient atteint de LAM, on note une évolution de la composition clonale : en effet, certains clones disparaissent et d’autres se développent. Dans chaque cancer, il existe plusieurs clones de cellules cancéreuses. Dans la LAM, nous avons pu identifier comment ces familles répondaient à l’enasidenib. Nous avons utilisé des techniques permettant d’étudier les mutations génétiques cellule par cellule et avons reconstruit l’arbre généalogique de la LAM des patients. Nous avons alors effectué un suivi des modifications clonales survenant dans les LAM, lorsque ces cellules ont répondu à l’enasidenib et aussi lorsque les patients ont rechuté. C’est la première fois qu’une étude aussi détaillée est réalisée au niveau d’une cellule unique dans ces conditions. Comme l’enasidenib est un nouveau médicament, il était essentiel d’en comprendre les effets sur les cellules leucémiques. »

Dr Virginie Penard-Lacronique, co-auteur, directrice de recherche et chef d’équipe dans une unité Inserm à Gustave Roussy, a déclaré : « Nous avons apporté la preuve génétique que l’enasidenib permet de réengager la différenciation cellulaire. Même si les cellules cancéreuses continuent de présenter une mutation du gène IDH2, elles retrouvent les propriétés fonctionnelles d’une cellule saine, au moins en partie. Il s’agit d’un point important car, nous ne savions pas si les cellules matures d’un patient étaient issues de cellules normales après éradication des cellules cancéreuses ou si elles provenaient de cellules leucémiques à nouveau capables de se différencier et de parvenir à maturité. Dans cet article, nous démontrons que dans quatre cas sur cinq, les cellules matures sont issues des cellules leucémiques de la moelle osseuse qui se re-différencient grâce à ce nouveau médicament. »

En analysant les échantillons de patients dont le cancer a récidivé [2], l’équipe a pu démontrer pour la première fois que les cellules leucémiques cessaient de réagir à l’enasidenib lorsque certains des clones développaient de nouvelles mutations qui les rendaient résistants à l’enasidenib. Ces informations sont utiles pour la conception de futurs essais cliniques dont l’objectif sera de contourner les problèmes de résistance au médicament. Ces résultats signifient également que l’enasidenib doit être associé à d’autres anticancéreux pour prévenir une éventuelle récidive. Des essais cliniques ont déjà débuté afin de déterminer la réponse des patients à ces associations et si oui, pendant combien de temps. Ils ont également pour objectif d’estimer le risque de récidive.

Le Dr de Botton précise : « L’enasidenib est un excellent exemple de traitement anticancéreux de nouvelle génération qui cible spécifiquement des cellules cancéreuses, épargnant les cellules saines. À ce titre, ce médicament est très sûr et présente des effets indésirables limités. Il est probablement nécessaire de l’associer d’emblée à d’autres médicaments afin d’empêcher une récidive. Des essais internationaux sont en cours, comparant les combinaisons d’enasidenib et d’autres médicaments au traitement de référence. »

Le Professeur Paresh Vyas, professeur d’hématologie et chef de l’équipe d’Oxford, souligne un point important : « L’approche que nous avons développée ici peut être adaptée à tous types de cancers et à tous les traitements. Elle nous a permis de comprendre comment un médicament attaque chaque clone dans un cancer donné et comment les différents clones réagissent au traitement. Cela en fait une approche très efficace qui nous permettra de mieux comprendre comment améliorer l’efficacité des traitements anticancéreux. »

Notes à l’attention des journalistes :

[1] “Clonal heterogeneity of acute myeloid leukemia treated with the IDH2 inhibitor enasidenib”, by Lynn Quek et al. Nature Medicine; doi: 10.1038/s41591-018-0115-6

[2] Études précédentes publiées par certains des mêmes chercheurs :
“Targeted inhibition of mutant IDH2 in leukemia cells induces cellular differentiation”, by Fang Wang et al. Science, vol. 340, 3 May 2013; doi: 10.1126/science.1234769;
“Enasidenib induces acute myeloid leukemia cell differentiation to promote clinical response,” by Michael D. Amatangelo et al. Blood, 6 June 2017; doi: 10.1182/blood-2017-04-779447;
“Enasidenib in mutant IDH2 relapsed or refractory acute myeloid leukemia”, by Eytan M. Stein et al. Blood, 6 June 2017; doi: 10.1182/blood-2017-04-779447;
“Durable remissions with ivosidenib in IDH1-mutated relapsed or refractory AML”, by C.D. DiNardo et al. NEJM, 2 June 2018; doi: 10.1056/NEJMoa1716984.

[3] Cette étude a obtenu son financement de plusieurs sources, qui sont énumérées de façon exhaustive à la fin du présent article. Ces sources incluent : le Medical Research Council (MRC) (Royaume-Uni), l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’Institut National du Cancer, la Fondation ARC pour la Recherche sur le Cancer, Gustave Roussy, La ligue nationale contre le cancer, le National Institute of Health (États-Unis) et le Memorial Sloan Kettering Cancer Center, etc.

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