Covid-19 News | 27 mars 2020
Synthèse d'actualités scientifiques liées au COVID-19, réalisée par des experts de Gustave Roussy.
Covid-19 : Pourquoi tester ? Qui tester ? Comment tester ?
Source : Académie Nationale de Médecine – 24 mars 2020
Pourquoi ?
La progression rapide de la pandémie de Covid-19 en France révèle les limites actuelles de nos capacités de diagnostic virologique direct par amplification des acides nucléiques et suscite une polémique sur le manque de disponibilité de tests à visée diagnostique, alors qu’ils pourraient être très utiles. Ces diagnostics pourraient être élargis et ciblés dans le but d’identifier les foyers d’infections et de renforcer les procédures de confinement et d’isolement des personnes infectées. Par la suite, ces tests seront essentiels pour l’évaluation des futurs traitements et pour accompagner la sortie du confinement.
Qui ?
Selon les recommandations gouvernementales actuellement en vigueur, le test de détection du Sars-CoV-2 ne peut être effectué que sur prescription médicale pour les patients symptomatiques présentant des signes de gravité nécessitant une hospitalisation, pour une liste de patients à risque (immunodéprimés, diabétiques, insuffisants rénaux, hypertendus, etc.), pour les professionnels de santé et pour les personnes fragiles vivant en structure collective (EPHAD, handicap). Les patients symptomatiques ne présentant pas de signe de gravité ne sont pas testés ; après examen clinique, ils doivent observer un confinement strict à domicile, ainsi que leurs proches contacts.
Comment ? L’Académie Nationale de Médecine recommande :
- d’élargir la détection du Sars-CoV-2 aux patients symptomatiques sans signe de gravité, dès que la disponibilité des tests le permettra, afin d’assurer leur confinement le plus tôt possible.
- les prélèvements doivent respecter des précautions rigoureuses : utilisation d’écouvillons avec embout dacron/polyester pour biologie moléculaire, écouvillonnage nasal profond ou pharyngé réalisé par des professionnels expérimentés (infirmières, biologistes et médecins) soigneusement protégés dans un local dédié, transmission des échantillons aux laboratoires de référence sous triple emballage suivant les réglementations nationales ou internationales pour le transport des substances infectieuses.
- les tests diagnostiques par biologie moléculaire (extraction des acides nucléiques viraux, RT-PCR temps réel) nécessitent un équipement et une technicité ne permettant pas actuellement de les mettre en œuvre dans tous les laboratoires de biologie médicale, mais uniquement dans les laboratoires de sécurité biologique de niveau 2 (LSB2). La durée de réalisation du test varie de 3 à 6 heures
- que la liste des laboratoires agréés pour le diagnostic du Covid-19 soit élargie au-delà des laboratoires de biologie médicale vers des établissements ayant la capacité de réaliser les tests dans les mêmes conditions de biosécurité (laboratoires de génétique, de recherche, etc.). Des procédures de bonne pratique devraient être mises en place et contrôlées sur l’ensemble du territoire de façon coordonnée.
- que des tests sérologiques indirects soient développés pour la détection d’anticorps spécifiques du Sars-CoV-2, afin de préparer la mise en œuvre d’enquêtes séro-épidémiologiques qui permettront, au terme de cette vague épidémique, d’évaluer la proportion de la population infectée.
- que les performances des tests rapides (TRODs) mis sur le marché pour la détection des IgG et des IGM spécifiques de Sars-CoV-2 soient évaluées pour envisager leur utilisation dans les enquêtes de terrain.
Haut risque d'infection pour les médecins et les infirmières
Transmission du SRAS-CoV-2 chez des patients atteints de cancer dans un hôpital de soins tertiaires à Wuhan, en Chine
Source JAMA Oncology – 25 mars 2020 - Résumé
Transmission du SRAS-CoV-2 chez des patients atteints de cancer dans un hôpital de soins tertiaires à Wuhan, en Chine. En décembre 2019, une épidémie de nouvelle maladie à coronavirus (COVID-19) s'est produite à Wuhan, dans le Hubei. Elle se caractérise par une transmission rapide d'homme à homme par contamination par des gouttelettes. Un rapport de 138 patients hospitalisés dans un seul établissement (l'hôpital Zhongnan de l'Université de Wuhan) a indiqué que la transmission acquise à l'hôpital représentait 41,3% de ces patients admis, impliquant ainsi l'environnement hospitalier comme une source de propagation du virus. Les patients atteints de cancer sont souvent rappelés à l'hôpital pour traitement et surveillance, et par conséquent, ils peuvent être à risque de contracter COVID-19. De plus, les traitements contre le cancer tels que la chimiothérapie et la radiothérapie sont immunosuppresseurs. Dans cet article nous rapportons l'incidence et les résultats de l'infection par le SRAS-CoV-2 chez les patients cancéreux qui ont été traités dans un établissement de cancérologie à Wuhan.
Utilisation rationnelle des masques faciaux lors de la pandémie de COVID-19
Source : Lancet – 20 mars 2020 – Résumé
Depuis l'apparition SRAS-CoV-2, le virus qui a causé la maladie du COVID-19, l'utilisation de masques faciaux est devenue omniprésente en Chine et dans d'autres pays asiatiques comme la Corée du Sud et Japon. Certaines provinces et municipalités chinoises ont appliqué des politiques de masques faciaux obligatoires dans les espaces publics; cependant, la directive nationale chinoise a adopté une approche fondée sur le risque en proposant des recommandations pour l'utilisation de masques faciaux parmi les agents de santé et le grand public. Nous avons comparé les recommandations d'utilisation du masque facial par différentes autorités sanitaires (panel). Malgré la cohérence de la recommandation selon laquelle les personnes symptomatiques et celles des milieux de soins de santé devraient porter des masques faciaux, des écarts ont été observés dans le grand public et les milieux communautaires. Par exemple, le Surgeon General des États-Unis a déconseillé d'acheter des masques destinés à des personnes en bonne santé. Une raison importante pour décourager l'utilisation généralisée des masques faciaux est de conserver des fournitures limitées pour un usage professionnel dans les établissements de soins de santé
Epidémiologie
Des taux de mortalité liés au Covid-19 différents en Europe : fake news ?
Flore Salviat, Dan Chaltiel et Julia Bonastre, Service de Biostatistique et d’Epidémiologie – Gustave Roussy
Les taux de mortalité du Covid-19 en Europe sont présentés comme très différents dans la presse variant de moins de 1% en Allemagne à 10% en Italie. S’agit-il d’une vraie différence de mortalité entre ces pays ou d’un calcul erroné ?
Le taux de létalité (CFR, Case Fatality Rate) correspond au rapport entre le nombre de décès imputables à la maladie et le nombre de cas connus. Or, le recensement du nombre de cas confirmés ne reflète pas le nombre réel de cas puisqu’il dépend des recommandations gouvernementales propres à chaque pays. Pour mesurer ce nombre, il faudrait tester tous les individus d’un échantillon représentatif de la population, ce qu’aucun pays n’a fait jusqu’à présent. Cela permettrait de calculer le rapport entre le nombre de décès imputables à la maladie et le nombre de cas réels (IFR, Infection Fatality Rate) [1]. Il est possible de modéliser la dynamique de l’évolution du nombre de cas en prenant appui sur des données nationales et internationales [2]. Ainsi, des épidémiologistes ont estimé, en stratifiant sur l’âge, un CFR à 1,4% (IC95% [1,2-1,5]) et un IFR à 0,7% (IC95% [0,4-1,3]) en Chine [3]. De même, les exemples de la Corée du Sud et du Diamond Princess conduisent à un taux de mortalité de 1,2% [4]. L’estimation et la comparaison de tels taux en Europe est encore délicate car l’épidémie est en pleine expansion et la durée de son évolution n’est pas la même dans les différents pays.
De plus, la pratique du dépistage du Covid-19 varie d’un pays à l’autre. En France (560 tests par million de personnes ont été pratiqués le 15/03/2020 [5]), la DGS recommande actuellement de dépister uniquement le personnel soignant, les cas les plus graves [6] et en post-mortem. A l’inverse, en Allemagne (2 023 tests par million de personnes pratiqués au 15/03/2020 [5]), les tests sont pratiqués plus précocement pour un plus grand nombre de personnes (incluant des cas asymptomatiques), mais pas en post-mortem. Cette différence de pratique pourrait expliquer un taux de mortalité apparemment plus bas en Allemagne par rapport à l’Italie et à la France car le nombre de personnes infectées (cas confirmés) serait plus proche du nombre réel de cas que dans les autres pays européens mais également parce qu’une politique de pratique élargie des tests diagnostiques pourrait avoir pour effet de limiter les contaminations et l’étendue de l’épidémie. En Italie (3 499 tests par million de personnes pratiqués au 20/03/2020 [5]), les décès sont imputés au Covid-19 dès qu’ils surviennent chez les patients dont le test est positif, indépendamment des maladies préexistantes qui pourraient avoir causé la mort ; entraînant une surestimation du taux de mortalité [7]. On ne dispose pas aujourd’hui d’une définition homogène entre les pays des décès imputables au Covid-19.
Enfin, des différences entre les pays dans l’organisation des soins et dans la structure démographique [8] pourraient néanmoins expliquer une potentielle différence entre les taux de mortalité. Ainsi, l’Allemagne est particulièrement bien équipée en lits de soins intensifs (29,2 pour 100 000 habitants versus 12,5 et 11,6 en Italie et en France [9]) et ne redoute pas que ses hôpitaux soient saturés, contrairement à l’Italie et la France. En revanche, la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans est comparable dans ces 3 pays et de l’ordre de 30%. Le facteur démographique est donc peu susceptible d’expliquer une différence de mortalité entre ces pays.
La différence entre les taux de mortalité affichés dans la presse est donc à prendre avec précaution car beaucoup de données sont encore inconnues pour calculer ces taux de manière fiable. Néanmoins, des mesures visant à limiter la contamination interhumaine, les pratiques de détection diagnostique et les capacités hospitalières pourraient engendrer une différence entre les taux de mortalité des pays. Il est encore trop tôt pour le savoir.
Références
[1] Roser et al, article sur la pandémie de Covid-19, aborde entre autres la différence CFR/IFR https://ourworldindata.org/coronavirus
[2] Huanga et al., Article preprint appliquant le modèle SIR au Covid-19 https://www.who.int/bulletin/online_first/20-255158.pdf. Voir aussi une vidéo de vulgarisation sur le modèle SIR https://www.youtube.com/watch?v=-2tI3MQFqkI.
[3] Verity et al., article preprint estimant CFR et l’IFR stratifiés sur l’âge https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.03.09.20033357v1.full.pdf.
[4] Catherine Hill. L’épidémie de Covid-19. https://www.researchgate.net/publication/340084701_V2_covid2-19
[5] https://ourworldindata.org/covid-testing
[7] Case-Fatality Rate and Characteristics of Patients Dying in Relation to COVID-19 in Italy. JAMA. Published online March 23, 2020. doi:10.1001/jama.2020.4683.
https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2763667
[8] Novel Coronavirus Pneumonia Emergency Response Epidemiology Team. Vital surveillances: the epidemiological characteristics of an outbreak of 2019 novel coronavirus diseases (COVID-19)—China, 2020. China CDC Weekly. 2020;2(8):113-122. Accessed March 18, 2020. http://weekly.chinacdc.cn/en/article/id/e53946e2-c6c4-41e9-9a9b-fea8db1a8f51
[9] Rhodes, A.; Ferdinande, P.; Flaatten, H.; Guidet, B.; Metnitz, P. G.; Moreno, R. P. (2012-10-01). "The variability of critical care bed numbers in Europe". Intensive Care Medicine. 38 (10): 1647–1653.
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Cette newsletter est éditée par Gustave Roussy, sous la direction éditoriale du Pr Fabrice Barlesi et avec la coordination du Dr Antoine Crouan.