Gustave Roussy participe à PragmaTIL, un essai clinique européen qui vise à réduire la toxicité et à améliorer le vécu des patients dans le cadre des traitements par lymphocytes infiltrant la tumeur. La Dr Maria Alice Franzoi, oncologue médicale, dirige l'évaluation de l'expérience patient de cet essai clinique. Elle revient sur ce projet en cinq questions.
Maria Alice Franzoi : Il est premièrement nécessaire d’expliquer ce que sont les TILs. Ce terme renvoie à des cellules présentes dans notre système immunitaire : les lymphocytes T. Chez les personnes atteintes d’un cancer, ces lymphocytes ont la capacité d’infiltrer une tumeur pour y éliminer les cellules cancéreuses, d’où leur qualification de lymphocytes infiltrant la tumeur (tumor-infiltrating lymphocytes, ou TILs).
L’objectif d’une thérapie par TILs est de venir renforcer l’action de ces lymphocytes. Pour cela, un échantillon de la tumeur du patient est prélevé lors d’une biopsie. En laboratoire, les lymphocytes qui y sont infiltrés en sont extraits, sélectionnés selon leur robustesse, puis multipliés à l’aide d’une cytokine, l’interleukine 2.
Cette préparation enrichie en TILs va être injectée au patient, pour augmenter le nombre de “bons” lymphocytes à même de combattre la tumeur dans son organisme. Cette étape nécessite son hospitalisation. D’abord, car préalablement à l’injection des TILs, il doit recevoir une chimiothérapie intensive pour détruire ses lymphocytes naturels, afin de créer un terrain propice à la prolifération des TILs injectés. Enfin, car durant trois à cinq jours, il va recevoir de l’interleukine 2 à haute dose, pour stimuler la prolifération des TILs.
Maria Alice Franzoi : D‘abord, seulement un nombre limité d’hôpitaux ont à disposition l’infrastructure nécessaire pour fabriquer des TILs. Ensuite, il faut être capable de pouvoir gérer les effets secondaires causés par l’injection à haute dose de l’interleukine 2. Une étude publiée dans le New England Journal of Medicine1 indique que 100 % des patients traités par TILs ont subi une toxicité de grade 3.
Concrètement, l'utilisation d’interleukine 2 peut provoquer un syndrome inflammatoire systémique, qui se manifeste par de la fièvre, des frissons parfois incontrôlables, des bouffées vasomotrices avec une éruption cutanée et une rougeur de la peau, des vomissements, une altération cardiaque, une perte importante de liquide, une baisse de la pression artérielle, des œdèmes ou encore une importante fatigue.
Ces symptômes disparaissent rapidement après l'arrêt du traitement et sont pour la plupart transitoires. Mais ils doivent être gérés par des soins de support pendant l’hospitalisation. Cela nécessite une complexité de prise en charge, et a un impact sur la qualité de vie des patients.
Maria Alice Franzoi : Pour réduire la toxicité liée à l’administration de l’interleukine 2 à haute dose, il faut simplifier la prise en charge hospitalière et améliorer la qualité de vie et le vécue des patients.
PragmaTIL est un essai clinique randomisé de phase 2, qui va évaluer un analogue de l’interleukine 2, moins toxique, l’ANV419. Durant cet essai, un groupe de patients recevra l’interleukine 2 à haute dose, un autre l’ANV419. Un des objectifs est que les toxicités de grade 3-4 observées chez les patients recevant l’ANV419 soient réduites par rapport à ceux recevant l’interleukine 2. Cette toxicité sera mesurée par les médecins, en utilisant des critères cliniques classiques, mais aussi directement par les patients, qui vont rapporter ces symptômes grâce à une plateforme digitale, WeShare.
Maria Alice Franzoi : PragmaTIL est un consortium européen de plusieurs centres de lutte contre le cancer, réunis autour du Val d’Hebron Institut of Oncology (VHIO) de Barcelone. Gustave Roussy va évaluer le vécu des patients, leur qualité de vie et la toxicité du traitement de leur point de vue, en collaboration avec La Caixa Fondation, Sentinelles et Unicancer.
Pour cela, il a fallu mettre en place une manière objective de mesurer le vécu des patients : la thérapie par TILs est encore expérimentale. Nous avons d’abord élaboré un laboratoire vivant, c’est-à-dire un comité consultatif et interactif composé de professionnels de santé ainsi que de six patients, ayant tous déjà été traités par TILs. Ils viennent d’Espagne, des Pays-Bas, de Suède et d’Israël, et ont accepté de partager leur expérience. Des groupes de discussion avec ce comité ont été menés lors de la rédaction du protocole de recherche, pour comprendre quels paramètres prendre en compte et comment les mesurer. Cela nous a permis de construire une façon innovante d'évaluer les toxicités et la qualité de vie du point de vue des patients : il s’agit désormais d’un des objectifs primaires de l’étude.
Trois outils pour mesurer les toxicités et la qualité de vie des patients vont être utilisés lors de l’essai clinique. D’abord, des questionnaires pour évaluer les symptômes signalés comme primordiaux pendant l’hospitalisation, ainsi que la qualité de vie et l’anxiété à 3, 6 et 12 mois. Ensuite, des montres connectées, portées par chaque patient durant l’essai clinique pour mesurer leur nombre de pas, l’activité physique, la fréquence cardiaque, ou encore la qualité du sommeil. Enfin, un entretien individuel va être conduit à la fin du traitement.
Ces données vont nous permettre de mieux comprendre le vécu des patients, autant pour ceux recevant de l’interleukine 2 que ceux recevant l’ANV419, et vont nous fournir des pistes d’interventions possibles.
Les patients membres du laboratoire vivant nous ont fait part d’un énorme besoin d’informations sur le traitement par TILs, sur les effets secondaires et les soins de supports nécessaires. Nous sommes donc également en train d’élaborer une ressource informative destinée aux patients.
Maria Alice Franzoi : D’abord, le fait que les patients aient participé à sa conception. Définir en objectif primaire la toxicité mesurée par les patients, en plus de celle mesurée par les médecins, est quelque chose de totalement novateur. Le laboratoire vivant va rester actif tout au long de l’essai clinique. Ce “living lab” constitue un véritable challenge, et encore une fois, une innovation, par rapport aux essais cliniques plus traditionnels. L’utilisation dans un contexte international d’outils digitaux pour recueillir les données biométriques et relatives à la qualité de vie des patients est aussi une innovation importante, qui peut permettre d’accélérer la recherche en qualité de vie en cancérologie. L’essai clinique devrait débuter en octobre, une fois que les différentes autorisations sanitaires auront été délivrées par les autorités des pays participants.
PragmaTIL bénéficie d’un financement de l’Union européenne, via le programme Horizon Europe research and innovation program (numéro de subvention : 101104684).
La plateforme WeShare bénéficie d’un financement de l’Agence nationale de la recherche du Gouvernement français (numéro de subvention : ANR-21-ESRE-0017).
(1) Rohaan, Maartje W., et al. “Tumor-Infiltrating Lymphocyte Therapy or Ipilimumab in Advanced Melanoma.” New England Journal of Medicine, vol. 387, no. 23, 8 Dec. 2022, pp. 2113–2125,
https://doi.org/10.1056/nejmoa2210233.