Newsletter Good to Know

L'ACTUALITÉ EN CANCÉROLOGIE VUE PAR GUSTAVE ROUSSY

Newsletter #7 - Avril 2021

 

Recherche

Des peptides bactériens comme nouvelle cible d’immunothérapie contre le cancer

Anne-Gaëlle Goubet

Recherche

Les tumeurs sont, elles aussi, colonisées par des micro-organismes. Kalaora et al.1 montrent que les cellules tumorales ont la capacité de présenter des peptides issus de ces bactéries au système immunitaire. Cette découverte ouvre la voie vers de nouvelles cibles d’immunothérapie contre le cancer.

Dernièrement, l’étude de sept types tumoraux a montré que 42,5 % des tumeurs testées comportaient des bactéries2. Ces bactéries étaient majoritairement intra-cellulaires et présentes à la fois dans les cellules cancéreuses et immunitaires.

L’équipe de l’Institut Weizmann s’est alors intéressée au pouvoir immunogène de ces bactéries intra-tumorales. Pour ce faire, elle a analysé les peptides présentés au sein des molécules HLA, c’est-à-dire les structures à la surface des cellules présentant un échantillonnage du contenu intra-cellulaire aux cellules immunitaires. Dans les 17 mélanomes analysés, presque 300 peptides issus de 38 bactéries ont été détectés. Certains peptides sont uniques (à la tumeur, voir même à un site métastatique précis), d’autres sont retrouvés dans des prélèvements issus de patients différents. Les auteurs ont montré que les bactéries étaient capables d’entrer à l’intérieur des cellules tumorales et pouvaient être présentées au sein des HLA. Enfin, les lymphocytes T infiltrant les tumeurs étaient capables de réagir face à ces peptides/antigènes bactériens.

Ces résultats publiés dans la revue scientifique Nature montrent que les bactéries constituent une toute nouvelle source d’antigène tumoral. Deux catégories sont classiquement décrites : les antigènes associés aux tumeurs et les antigènes spécifiques des tumeurs. Les premiers sont exprimés à la fois par les cellules tumorales et les cellules des tissus non tumoraux. Ces antigènes sont partagés entre les patients, faiblement reconnus par le système immunitaire et, lorsqu’ils le sont, exposent à un risque accru d’auto-immunité. Les seconds sont exprimés uniquement par les cellules tumorales et sont alors une cible idéale pour le système immunitaire. En revanche, ils sont propres à chaque patient. Les antigènes dérivés des bactéries sont donc à la jonction entre ces deux types d’antigènes : ils sont partagés par plusieurs patients, différents entre le tissu non tumoral et le tissu tumoral, et sont fortement reconnus par le système immunitaire. En s’affranchissant de la personnalisation thérapeutique, ces nouveaux peptides/antigènes ouvrent la voie vers de nouvelles immunothérapies contre le cancer.

Références :

1.Kalaora, S., Nagler, A., Nejman, D. et al. Identification of bacteria-derived HLA-bound peptides in melanoma. Nature 592, 138–143 (2021). doi:10.1038/s41586-021-03368-8

2.Nejman D et al., The human tumor microbiome is composed of tumor type-specific intracellular bacteria. Science. 2020 May 29;368(6494):973-980. doi: 10.1126/science.aay9189

 

Recherche

Le microbiote : outil prédictif de l’efficacité de l’immunothérapie lors du cancer du rein

Marion Picard, Lisa Derosa

Recherche

Une étude publiée dans la revue European Urology Journal par des chercheurs de Gustave Roussy, l’Inserm, l’Université Paris-Saclay, l’Université Paris-Sorbonne, l'IHU Méditerranée Infections, l'INRAe et deux compagnies de biotechnologies, Transgene et EverImmune montre l’importance prédictive du microbiote dans la réponse aux immunothérapies, notamment dans la résistance à ces dernières dans le cadre du cancer du rein.

La prise en charge de nombreux cancers a été révolutionnée par l’introduction des immunothérapies. Dans le cadre du cancer du rein, il a été prouvé que les immunothérapies seules ou en association avec les TKI représentent une thérapie plus efficace que les TKI seuls. Malgré de très bons résultats, certains patients ne bénéficient toujours pas de cette avancée majeure.  

Précédemment, l’équipe de la Pr Zitvogel a démontré le rôle prépondérant du microbiote ainsi que le rôle délétère des antibiotiques dans l’efficacité des immunothérapies. Néanmoins, la valeur prédictive d’espèces spécifiques sur l’efficacité de ces traitements est encore mal connue.

Dans cet objectif, les chercheurs ont séquencé l’ensemble des ADN de micro-organismes contenus dans les selles de patients ayant un cancer du rein, avant et pendant un traitement par anticorps anti-PD-1 reçu en deuxième ligne. Ils ont ainsi pu dresser un profil du microbiote de chaque patient, et corréler leur profil bactérien à la réponse au traitement et même à l’utilisation d’antibiotiques.  

Ainsi, ils ont montré que les patients non-répondeurs aux immunothérapies présentaient un profil microbien différent des patients répondeurs. Les patients exposés aux antibiotiques et non répondeurs présentaient une surreprésentation de bactéries tolérogèniques comme le Clostridium hatewayi, tandis que les patients répondeurs aux immunothérapies présentaient une surreprésentation de bactéries immunogènes telles qu’Akkermansia muciniphila, Alistipes senegalensis et Bacteroides saliersiae.

L’ensemble de ces résultats montre l’importance prédictive du microbiote dans la réponse aux immunothérapies, et plus particulièrement dans la résistance à ces dernières. Également, ces données posent la question d’une utilisation plus judicieuse des antibiotiques chez les patients, étant donné leur influence délétère sur le microbiote et sur l’efficacité des immunothérapies.   

Grâce aux études métagénomiques réalisées chez les patients atteints du cancer du rein, les chercheurs espèrent à terme pouvoir prédire de façon robuste la résistance aux immunothérapies via la composition de leur microbiote.

L'équipe de la Pr Zitvogel envisage d’utiliser le microbiote intestinal comme outil thérapeutique original et de le modifier si besoin, par exemple en apportant au patient une bactérie favorisant la réponse aux immunothérapies, ou même en reconstruisant totalement son microbiote.

Références :

Lisa Derosa, Bertrand Routy, Marine Fidelle , Valerio Iebba, Laurie Alla, Edoardo Pasolli, Nicola Segata, Aude Desnoyer, Filippo Pietrantonio, Gladys Ferrere, Jean-Eudes Fahrner, Emmanuelle Le Chatellier, Nicolas Pons, Nathalie Galleron, Hugo Roume, Connie P M Duong, Laura Mondragón, Kristina Iribarren, Mélodie Bonvalet, Safae Terrisse, Conrad Rauber, Anne-Gaëlle Goubet, Romain Daillère, Fabien Lemaitre, Anna Reni, Beatrice Casu, Maryam Tidjani Alou, Carolina Alves Costa Silva, Didier Raoult, Karim Fizazi, Bernard Escudier, Guido Kroemer, Laurence Albiges, Laurence Zitvogel, Gut Bacteria Composition Drives Primary Resistance to Cancer Immunotherapy in Renal Cell Carcinoma Patients. Eur Urol. 2020 Aug;78(2):195-206. doi: 10.1016/j.eururo.2020.04.044

 

Hématologie

L’eprenetapopt change la donne des myélodysplasies avec mutation TP53

Christophe Willekens

Hémathologie

Les mutations du gène TP53 sont fréquemment retrouvées en cas de syndrome myélodysplasique (SMD) secondaire à une chimiothérapie et confèrent un mauvais pronostic. Deux études de phase Ib/II publiées dans le Journal of Clinical Oncology rapportent les résultats très encourageants obtenus par l’association d’azacitidine avec l’eprenetapopt, une molécule permettant de restaurer la fonction de p53.

Une mutation du gène TP53 est retrouvée chez environ 10 à 20 % des patients atteint de SMD. Sa présence confère un mauvais pronostic et un traitement par agent hypométhylant comme l’azacitidine ne permet d’obtenir une réponse complète que dans 15-20 %.

L’eprenetapopt (APR-246) est une molécule permettant d’induire sélectivement l’apoptose des cellules cancéreuses avec mutation TP53, en restaurant une conformation normale à la protéine p53 mutante.

Dans l’étude de phase Ib/II de David A. Sallman et al.,1 55 patients atteints d’hémopathie myéloïde avec mutation TP53 (dont 40 atteints de SMD) ont reçu une combinaison d’azacitidine sous-cutanée et d’eprenetapopt administré par perfusion intraveineuse de J1 à J4 par cycle. Les effets indésirables de l’association sont similaires à ceux observés par chacun des agents médicamenteux (toxicité hématologique pour l’azacitidine, neurologique réversible pour l’eprenetapopt). En termes d’efficacité, la combinaison de ces deux molécules permet l’obtention d’un taux de réponse globale de 71 % dont 44 % de réponse complète (50 % en cas de SMD) associé à une diminution de la charge allélique de TP53 muté.

Une maladie résiduelle indétectable (i.e. absence de détection de la mutation TP53 par NGS) a pu être observée chez deux patients. Ces taux de réponse se traduisent par une amélioration notable de la survie globale (10,8 mois) en comparaison aux données connues de l’azacitidine seule dans ce contexte et a permis à 35 % des patients de recevoir une allogreffe de cellules souches hématopoïétique. Plusieurs biomarqueurs prédictifs de réponse ont également été décrits notamment l’absence d’autres mutations que celles de TP53 et l’intensité d’expression de la protéine p53 en immunohistochimie sur biopsie médullaire.

Ces résultats très encourageants, et ceux similaires de l’étude européenne de phase II de Thomas Cluzeau et al.,2 supportent le rationnel de l’étude de phase III actuellement en cours comparant l’association azacitidine + eprenetapopt à l’azacitidine seule dans les SMD avec mutation TP53.

Références :

  1. Sallman DA, DeZern AE, Garcia-Manero G, Steensma DP, Roboz GJ, Sekeres MA, Cluzeau T, Sweet KL, McLemore A, McGraw KL, Puskas J, Zhang L, Yao J, Mo Q, Nardelli L, Al Ali NH, Padron E, Korbel G, Attar EC, Kantarjian HM, Lancet JE, Fenaux P, List AF, Komrokji RS. Eprenetapopt (APR-246) and Azacitidine in TP53-Mutant Myelodysplastic Syndromes. J Clin Oncol. 2021 Jan 15:JCO2002341. doi: 10.1200/JCO.20.02341. Epub ahead of print. PMID: 33449813.
  2. Cluzeau T, Sebert M, Rahmé R, Cuzzubbo S, Lehmann-Che J, Madelaine I, Peterlin P, Bève B, Attalah H, Chermat F, Miekoutima E, Rauzy OB, Recher C, Stamatoullas A, Willems L, Raffoux E, Berthon C, Quesnel B, Loschi M, Carpentier AF, Sallman DA, Komrokji R, Walter-Petrich A, Chevret S, Ades L, Fenaux P. Eprenetapopt Plus Azacitidine in TP53-Mutated Myelodysplastic Syndromes and Acute Myeloid Leukemia: A Phase II Study by the Groupe Francophone des Myélodysplasies (GFM). J Clin Oncol. 2021 Feb 18:JCO2002342. doi: 10.1200/JCO.20.02342. Epub ahead of print. PMID: 33600210.
 

Sénologie

Efficacité de l’immunothérapie en entretien dans le cancer du sein triple négatif avancé

Anna Ilenko, Benjamin Verret

Sénologie

En phase de maintenance après une chimiothérapie, un traitement par durvalumab a montré sa supériorité en termes de survie globale dans le traitement du cancer du sein triple négatif avancé. Des analyses exploratoires semblent indiquer que la présence d’une amplification de CD274 est associée à une sensibilité accrue à l’immunothérapie dans ce contexte.

L’essai SAFIR02 est un essai pionner en médecine de précision. Brièvement, dans le cadre de cette étude, des patientes atteintes de cancer du sein avancé ont bénéficié d’analyse de biologie moléculaire complète à la recherche de cible thérapeutique. En cas d’anomalie ciblable, après un traitement d’induction, les patientes étaient randomisées entre un traitement d’entretien par thérapie ciblée ou bien chimiothérapie standard.
En l’absence de cible moléculaire, les patientes étaient randomisées dans l’essai SAFIR02-Breast-Immuno évaluant l’intérêt d’une maintenance par durvalumab (anti-PD-L1) par rapport au traitement standard. Ce sont les résultats de cet essai qui ont été rapportés en début d’année dans la revue Nature Medicine.

Parmi les patientes avec un cancer du sein triple négatif (RE-, RP-, HER2-), un traitement d’entretien par durvalumab augmentait de façon significative la survie globale avec une survie médiane passant de 14 à 21 mois (HR 0.54 ; (0.30-0.97), p=0.0377). La recherche de biomarqueurs permise par l’essai SAFIR n’a pas retrouvé qu’un marquage PD-L1 positif était associé à une meilleure efficacité de l’immunothérapie, à l’inverse de ce qui a pu être montré dans les essais d’association de l’immunothérapie à la chimiothérapie en 1re ligne de traitement de cancer du sein triple négatif métastatique.

En revanche, de façon intéressante, des analyses exploratoires sur 55 patientes ont montré que la présence d’une amplification du gène CD274 (le gène codant pour PD-L1) était significativement associée à une meilleure efficacité de durvalumab (HR 0,18 ; (0,05-0,71), p=0,0059) par rapport à la maintenance de chimiothérapie (HR 1,12 ; (0,42-2,99), p=0,8139).

Référence :

Bachelot, T. et al. Durvalumab compared to maintenance chemotherapy in metastatic breast cancer: the randomized phase II SAFIR02-BREAST IMMUNO trial. Nat Med 27, 250–255 (2021). doi: 10.1038/s41591-020-01189-2

 

Essais précoces

Un vaccin plein de promesses contre les tumeurs mutées sur IDH1

Essais précoces

Daphné Morel, Loïc Verlingue, Stéphane Champiat

Les vaccins peuvent aider le système immunitaire à repérer les cellules cancéreuses. Dans cet essai de phase I, 93,3 % des patients atteints d’un gliome diffus avec une mutation IDH1R132H ont développé une réponse immunitaire spécifiquement dirigée contre cette mutation. Deux ans après la vaccination, chez 82 % de ces patients, la maladie n’avait toujours pas progressé.

La vaccination a consisté en huit injections de l’IDH1-vac, un vaccin peptidique thérapeutique, toutes les 2 à 4 semaines. Pour être éligible, les patients devaient être atteints d’un gliome (type de tumeur au cerveau) avec un certain profil mutationnel (mutation R132H sur IDH1, sans co-délétion 1p/19q, et avec perte de l’expression d’ATRX) et devaient avoir déjà reçu le traitement habituel (radiothérapie seule, radiochimiothérapie ou chimiothérapie par trois cycles de temozolomide).

Les effets indésirables relevés ont été de faible intensité (limités à des grades 1, sur une échelle de 0 à 5), essentiellement une réaction au point d’injection. Sur les 30 patients ayant pu être évalués, 28 (93,3 %) ont présenté une réaction immunitaire spécifiquement induite par le vaccin : médiée par les cellules T chez 26 patients, et/ou les cellules B chez 28 patients. Le taux de réponse globale fut de 86,7 % ; les patients répondeurs avaient tous présenté une réponse immunitaire.

De manière très intéressante, une « pseudo-progression » fut observée chez 12 (37,5 %) des 32 patients évalués sur le plan radiologique. Une pseudo-progression est diagnostiquée lorsqu’une tumeur diminue en taille après avoir grossi, initialement, suite au traitement. Elle témoigne souvent de l’infiltration des cellules immunitaires dans la tumeur, ce qui la fait « gonfler ». Les pseudo-progressions ont toutes été observées chez des patients répondeurs, et ayant présenté une réponse immunitaire systémique spécifique, médiée par les cellules T. Un de ces patients a subi une chirurgie de la tumeur, et une analyse a permis de confirmer que la tumeur avait bien été infiltrée par des cellules T helper spécifiques de l’IDH1(R132H).

Une étude randomisée devrait permettre de statuer sur l’efficacité de ce vaccin thérapeutique sur la survie globale de ces patients.

Référence :

Platten, M., Bunse, L., Wick, A. et al. A vaccine targeting mutant IDH1 in newly diagnosed glioma. Nature 592, 463–468 (2021). doi: 10.1038/s41586-021-03363-z

 

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Crédits photos : Adobe Stock, Gustave Roussy.

 

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