Newsletter Scientifique | 11 mai 2020

Synthèse d'actualités scientifiques réalisée par des experts de Gustave Roussy.

Repères scientifiques

Biologie

Pourquoi est-il si méchant, ce Covid-19 ?

Alexandre Bobard, Gustave Roussy – Source : Nature – 7 mai 2020

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Nous avons tous très largement sous-estimé ce virus initialement : pas plus dangereux qu’une grippe, moins létal que SRAS et MERS, etc. C’était il y a deux mois seulement. À l’heure actuelle, on a plutôt tendance à tomber dans l’excès inverse, et il est très difficile de penser à autre chose qu’à ça. Trouvons un juste milieu et commençons par regarder ce virus bien en face. Le rôle des chercheurs est justement de garder la tête froide, de façonner des hypothèses et d’élaborer des expériences pour les vérifier.

Voici comment tout a commencé. En 1912, des virus encore non identifiés semblent capables de provoquer des maladies chez différents animaux : fièvre et ventre gonflé chez le chat, bronchite chez la poule et dommages intestinaux létaux chez les porcelets. Ces étranges virus capables de sauter aussi facilement la sacro-sainte barrière des espèces ne seront caractérisés que dans les années 1960, et appartiennent à la même famille : les coronavirus. Un même virus peut passer du chien, au chat, au porc : cette famille est extrêmement dynamique. A ce stade, les coronavirus ne tuent que des animaux, il faut attendre SRAS en 2003 pour qu’ils s’attaquent sérieusement à l’Homme. Jusque-là, ils ne provoquent que des symptômes très légers dans la gorge alors que SRAS tue 10 % des infectés. Puis SARS-CoV-2 arrive. Qu’a-t-il de particulier ?

Son génome est le plus grand de tous les virus à ARN, la famille de virus qui inclue déjà les principaux fléaux les plus récents comme HIV, Ebola ou H1N1. Sa taille / sa largeur est aussi très grande (150 nm) pour un virus à ARN. C’est aussi un des rares virus ARN à avoir un système de réparation de l’ADN : ce virus est stable, il n’accumule pas de mutations le rendant moins virulent comme c’est le cas pour Influenza. Plus simple donc de développer un vaccin ? Problème : il a une capacité unique à « recombiner ». Des génomes peuvent se mélanger dans une même cellule formant ainsi des souches hybrides. Ce phénomène a souvent lieu chez la chauve-souris car elles sont asymptomatiques : les souches ont le temps de recombiner. 61 virus pouvant potentiellement infecter l’Homme y ont été caractérisés, et une même espèce de chauves-souris peut en contenir jusqu’à 12, il y a largement de quoi recombiner. Ainsi l’hôte réservoir est bien identifié mais l’hôte intermédiaire est encore non caractérisé à ce jour.

Les coronavirus inoffensifs infectent principalement la gorge. Les coronavirus létaux comme SARS-CoV-1 ou MERS-CoV infectent principalement les poumons. SARS-CoV-2 est efficace dans les deux catégories ce qui le rend redoutable. Il s’installe facilement dans la gorge (seulement dix particules « éternuées » pourraient être suffisantes), puis descend dans les poumons si le système immunitaire ne s’en débarrasse pas. Descend-t-il en infectant les cellules une à une, ou des particules tombent directement dans les poumons ? Ce n’est pas caractérisé. Parfois, il semble capable d’atteindre directement les poumons sans même infecter la gorge : certains patients ont directement une pneumonie, sans passer par la case toux/fièvre légère. Ce nouveau coronavirus est optimisé : il dispose de la contagiosité de ses cousins inoffensifs et de la létalité de ses cousins SRAS/MERS. SARS-CoV-1 n’était pas aussi contagieux, il avait du mal à s’accrocher dans la gorge, donc du mal à se diffuser, et le confinement a eu raison de lui. SARS-CoV-2, lui, se reproduit si vite dans la gorge que la salive est instantanément contaminée et relargue des particules dans l’environnement, et ce bien avant de développer des symptômes.

Les séquelles pulmonaires sont peu différentes d’autres infections pulmonaires comme SRAS ou Influenza, disent les pathologistes. En revanche, les coronavirus ont la capacité unique d’infecter différentes cellules humaines (intestins, cœur, sang, sperme, œil et peut-être cerveau), pas seulement les cellules pulmonaires ou la gorge. Comme pour le saut de la barrière des espèces, leur forte capacité à recombiner pourrait favoriser ce phénomène. Parfois les reins et le foie sont touchés également : est-ce un effet direct du virus ou est-ce dû à la « tempête de cytokine », une réaction immunitaire provoquée par la sur-inflammation des poumons ? Les autopsies le détermineront.

Lorsque la protéine Spike de SARS-CoV-2 s’accroche au récepteur ACE-2 dans le nez ou la gorge, c’est avec dix à vingt fois plus d’affinité que SARS-CoV-1. La différence est telle, que certains experts pensent qu’il pourrait utiliser aussi un second récepteur pour envahir les cellules. L’autre clé de son succès est le détournement d’une enzyme hyper exprimée dans le nez et présente partout dans le corps humain : la Furine. Cette enzyme participerait au clivage de Spike après sa liaison avec ACE-2 permettant d’exposer des peptides précédemment masqués, qui vont faciliter la fusion des membranes du virus et de la cellule et aboutir à l’internalisation de son ARN. Cela expliquerait pourquoi SARS-CoV-2 a 100 à 1 000 fois plus de chances de rejoindre les profondeurs des poumons par rapport à SARS-CoV-1 : le passage de cellules en cellules serait accéléré, et la Furine, une protéine produite par notre organisme, pourrait largement l’y aider. Le site de clivage de Spike semble donc lui donner un avantage évolutif énorme par rapport aux autres coronavirus. Il est le seul à en disposer dans cette famille, cela pourrait expliquer sa faculté à sauter facilement de cellule à cellule, d’Homme à Homme et peut être même d’une espèce à l’autre... Ce site n’a pas été retrouvé dans les souches de chauve-souris ou de pangolins : celui qui découvrira une souche contenant ce site aura probablement trouvé l’animal hôte intermédiaire encore mystérieux. Dans quel animal a-t-il recombiné pour acquérir ce site ? Pourrait-il devenir moins virulent avec le temps ? Difficile à dire.

Le fait qu’il répare bien ses mutations ne plaide pas en faveur d’une baisse de sa pathogénicité. Mais comme il est stable, justement notre immunité le reconnaîtrait plus facilement en cas de réinfection. Une théorie récente au sujet d’un autre coronavirus, OC43, un saisonnier provoquant des rhumes vient, d’être publiée. Il aurait été un « tueur » comme SARS-CoV-2, avant de rentrer dans le rang et circuler ensuite dans le monde entier sans provoquer de symptômes graves, entretenant ainsi une immunité chez la majeure partie de la population mondiale. Ce OC43 serait passé par la souris puis la vache avant d’atterrir chez l’Homme et pourrait avoir été responsable d’une pandémie en 1889-1890 ayant fait un million de morts (attribués à la grippe à l’époque). Est-ce le destin de SARS-CoV-2 ? Ça semple un peu farfelu, ce n’est pas démontré, mais on s’accroche à ce qu’on peut en ce moment…

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Mécanismes immunitaires de la coagulopathie intravasculaire pulmonaire Covid-19

Source : The Lancet – 7 mai 2020 - Abstract

La pathologie pulmonaire observée chez les patients atteints de Covid-19 montre une thrombose et une hémorragie microvasculaire marquées, liées à une inflammation alvéolaire et interstitielle étendue qui partage des caractéristiques avec le syndrome d'activation des macrophages (MAS). Nous avons appelé cette immunopathologie vasculaire pulmonaire « coagulopathie pulmonaire intravasculaire diffuse » (distincte de la coagulation intravasculaire disséminée dans phases précoces de l’infection). Cette pathologie est caractérisée par des concentrations accrues de D-dimère circulant (reflétant une thrombose pulmonaire du lit vasculaire avec fibrinolyse) et d'enzymes cardiaques (reflétant un stress ventriculaire émergent induit par une hypertension pulmonaire) sans modification des niveaux de fibrinogène et de plaquettes. Sans confirmation de la virémie Covid-19 au début de la maladie, l’immunothrombose étendue observée sur un large territoire vasculaire pulmonaire explique le mieux l'impact négatif du sexe masculin, de l'hypertension, de l'obésité et du diabète sur le pronostic des patients atteints de Covid-19. Le mécanisme immunitaire sous-jacent semble récapituler un état semblable au MAS, déclenchant une immunothrombose étendue, qui pourrait être le reflet d’une maladie cardiovasculaire cachée et distincte du MAS et de la coagulation intravasculaire disséminée bien connue des rhumatologues. […]     

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Un défaut d'activité de l'interféron de type I caractérise les formes sévères Covid-19

Source : Le fonds immunov, Dr Loïc Guillevin – 26 avril 2020

Nous avons identifié un phénotype unique chez les patients les plus sévèrement malades. Il consiste en une réponse profondément altérée à l'interféron (IFN) de type I, caractérisée par une faible production et activité de l’IFN, et en conséquence une diminution des gènes impliqués dans la défense anti-virale. Ce phénomène est associé à une charge virale persistante dans le sang et à une réponse inflammatoire exacerbée, due en partie au facteur de transcription NFkappaB, qui régule de nombreuses voies inflammatoires. Cette réponse inflammatoire est aussi caractérisée par une augmentation du TNF-alpha et d'interleukine-6, molécules pro-inflammatoires, ainsi que par une augmentation des molécules impliquées dans le recrutement des cellules immunitaires dans les tissus. En conclusion, le déficit en IFN de type I dans le sang est une caractéristique majeure des formes sévères de Covid-19, qui pourrait identifier et définir une population à haut risque. Cette étude justifie d’évaluer l'administration d'IFN combinée avec un traitement adapté, ciblant l'interleukine-6 ou le TNF-alpha, chez les patients les plus sévères. Ces données suggèrent également d’utiliser avec précaution les médicaments interférant avec la voie de l'interféron.

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Clinique

Les professionnels de santé face à la pandémie Covid-19 : quels risques pour leur santé mentale ?

Sandrine Proust, Gustave Roussy – Source : L’Encéphale – 29 avril 2020

Les auteurs ont conduit une revue de la littérature internationale tenant compte des données des précédentes épidémies (SARS-CoV-1, H1N1) et des données plus récentes concernant le Covid-19. Un climat anxiogène est né de la pandémie (rapidité de la diffusion, connaissances incertaines, sévérité, décès de soignants) ; combiné à des facteurs additionnels (absence de soutien, crainte de contaminer un proche, isolement, stigmatisation sociale, stress au travail, manque d’organisation, réaffectation des postes, manque de communication, manque de matériel, bouleversement de la vie familiale), les soignants ont un risque augmenté d’anxiété, de dépression, d’épuisement, d’addiction et de troubles de stress post-traumatique (TSPT).

Pendant les précédentes pandémies (grippe A H1N1en 2009 et SARS-CoV-1 en 2003), les études longitudinales ont mis en exergue la crainte de contamination de la « parentèle » (tant familiale comme professionnelle), l’accroissement de la morbidité psychiatrique - notamment exacerbé pour les médecins ; un lien de causalité a été établi entre un poste à risque et la présence de troubles de stress post-traumatique, de conduites addictives ou de symptômes d’épuisement professionnel dans une période d’un à deux ans suivant la pandémie.

Le nombre de lits a été multiplié par trois, et la France compte six lits pour 100 000 habitants, contre 13,1 au Japon ou huit en Allemagne ; c’est davantage que l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni ou les États-Unis (entre 2,5 et 3). On a constaté une flexibilité exceptionnelle du système sanitaire français, réputé enkysté (tant sur le plan organisationnel qu’humain ou matériel). Il y a eu plusieurs facteurs de détresse psychique des soignants pendant la pandémie. Tout d’abord son caractère anxiogène (incertitudes, nécessité de mettre à jour certaines connaissances, sentiment d’impuissance, nouvelles équipes). De plus, l’absence de traitement efficace dégrade le sentiment d’utilité du personnel soignant, matérialisé par le décompte journalier des décès, et augmente la frustration et potentiellement la souffrance émotionnelle.   Néanmoins, la proportion de soignants ayant sollicité les dispositifs de soutien est faible. L’aménagement de salles de repos ou la facilitation de la logistique des repas rencontrent manifestement plus d’engouement. L’accès à une cellule de soutien et à l’information appropriée ont permis durant l’épidémie de 2003 de diminuer l’effet de la crise sur l’état psychologique des soignants. Pour Li et al., les soignants en seconde ligne souffrent davantage de traumatismes par procuration, tandis pour Lu et al., les soignants en première ligne ont plus de symptômes d’anxiété, de dépression ou de TSPT. De manière générale, il existe un lien robuste entre stress et addictions, notamment chez les soignants (accès aux psychotropes, crainte d’une stigmatisation professionnelle).

Pour prévenir ces effets, il convient de favoriser la résilience (pauses, rappel des règles hygiéno-diététiques, encadrement horaire cohérent, temps de débriefing, structurer les gardes d’enfant et accès prioritaire aux tests). Le modèle Anticiper, planifier, dissuader prépare les équipes à la résilience et a prouvé son efficacité pendant l’épidémie Ebola (information sur les effets d’une crise, élaboration d’un plan personnel de résilience et apprentissage du moment où utiliser cet outil). Les dépistages de troubles sont généralisés pour les équipes en première ligne, mais devront être étendus à d’autres soignants. Des enquêtes permettraient par exemple d’orienter les profils les plus vulnérables. Des auto-questionnaires brefs estimant l’anxiété (comme le State-Trait Anxiety Inventory), la dépression (Patient-Health Questionnaire 9 items), le stress (Post-Traumatic Stress Disorder Checklist for DSM-5 ou Impact Event Scale 6 items) ou l’épuisement professionnel (Maslach Burnout Inventory) peuvent être standardisés. Certains questionnaires jaugent la détresse psychologique (General Health Questionnaire), les stratégies d’adaptation au stress (Brief-COPE, Post-Traumatic Growth Inventory), ou la gestion des émotions (Cognitive Emotion Regulation Questionnaire). L’ensemble des soignants devrait être concerné par le maintien du dépistage sur six à douze mois via la médecine du travail.

Si la réaction de nombreux services a été l’accélération du passage au numérique pour certaines consultations, cela ne doit pas être l’apanage d’une minorité de services. La psychiatrie, par exemple, ne peut rester en retrait (pour les patients connus comme pour l’accès aux dispositifs de soins pour les nouveaux patients dont la pandémie aurait favorisé l’éclosion de la pathologie). Les auteurs préconisent néanmoins une recherche d’équilibre et une vigilance relative aux risques potentiels de fracture numérique dans le domaine du soin.

Recherche

Recherche clinique et Covid-19 : la science n’est pas une option

Source : Académie de Médecine – 8 mai 2020

La vérité scientifique ne se décrète pas à l’applaudimètre. Elle n’émerge pas du discours politique, ni des pétitions, ni des réseaux sociaux. En science, ce n’est ni le poids majoritaire ni l’argument d’autorité qui font loi. C’est pourtant dans ce type de dérive que s’est fourvoyée la recherche de traitements médicamenteux actifs contre le Covid-19 : trop de précipitation dans la communication, trop d’annonces prématurées, trop de discordes entre les équipes, trop de pressions de toutes sortes, mais pas assez de science. […]

Si le contexte anxiogène de la pandémie stimule la compétition entre les équipes de recherche dans le monde entier, cet impératif ne saurait justifier l’utilisation de méthodes inappropriées, d’études bâclées, ni d’une communication avide d’exclusivités. Précipiter l’évaluation d’un candidat médicament, c’est exposer les patients à d’éventuels effets adverses sans être sûr de leur apporter un bénéfice. Il existe heureusement des équipes responsables qui font preuve d’imagination et de proactivité en raccourcissant autant que possible les délais d’obtention de leurs résultats.

Le temps de la recherche et de la science n’est pas celui de l’immédiateté des médias et des réseaux sociaux. Le doute, inhérent à toute démarche scientifique, est aussi intolérable pour le public soucieux d’apaiser son anxiété que pour le politique désireux de conforter ses décisions. En temps de crise, si le doute exaspère, les croyances sont nuisibles et souvent dangereuses. Face au défi du Covid-19, l’Académie rappelle que la recherche thérapeutique doit :

  • s’appuyer sur des essais cliniques scientifiquement rigoureux et éthiquement irréprochables,
  • se fonder sur des bases pharmacodynamiques et pharmacocinétiques solides,
  • coordonner des équipes nationales et internationales dans de grandes études multicentriques,
  • s’astreindre à une communication prudente et responsable, ne divulguer que des résultats validés, s’interdire de susciter de faux espoirs vers le grand public.

Prévention : masquez, masquez, masquez-vous ! les preuves

Analyse aérodynamique du SARS-CoV-2 dans deux hôpitaux de Wuhan

Nature

Risque de transmission aéroportée du coronavirus : de l’importance du port du masque et de locaux bien ventilés

Le Monde – Dr Marc Gozlan – 9 mai 2020

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Toho University Vidéo

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Porter des gants : un geste à risques

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Safe Hands Challenge

Six astuces pour éviter la buée sur les lunettes

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Ouest-France – 7 mai 2020

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Cette newsletter est éditée par Gustave Roussy, sous la direction éditoriale du Pr Fabrice Barlesi et avec la coordination du Dr Antoine Crouan.

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