La médecine personnalisée (ou médecine moléculaire) est un des objectifs majeurs de la cancérologie. Cette prise en charge individualisée, où chaque patient reçoit un traitement adapté, passe par l’établissement préalable de la carte d’identité biologique des principales tumeurs.
"Le plasma sanguin d’un malade contient des fragments d’ADN issus des cellules cancéreuses mortes circulant dans le sang. Ces signaux sont très utiles pour établir un bon diagnostic et décider du traitement le plus adapté". Derrière ce résumé du Dr Philip Mack, oncologue au centre de lutte contre le cancer de Davis en Californie, se cache un des enjeux les plus importants de la cancérologie d’aujourd’hui : dresser l’inventaire des signatures biologiques des tumeurs les plus fréquentes. "Ce profilage génétique va nous permettre de sélectionner les traitements les mieux adaptés à chaque patient et de sélectionner les bons répondeurs. C’est une étape indispensable pour mettre en place une véritable médecine de précision", poursuit le Dr Mack.
Baptisés "biomarqueurs", ces signaux sont aujourd’hui accessibles grâce à l’analyse de cellules tumorales prélevées dans les tumeurs. Ces biopsies sont aujourd’hui courantes. Selon le bilan annuel de l’Institut National du Cancer (INCa), en 2014, environ 130 000 tests de ce type ont été réalisés dans l’hexagone. "Les biopsies liquides sont une alternative intéressante quand les biopsies conventionnelles ne sont pas réalisables. Elles peuvent être très utiles pour détecter les mutations et anticiper les problèmes de résistances aux traitements que nous rencontrons régulièrement", précise le Pr Richard Schilsky, directeur médical de l’ASCO.
Une étude américaine présentée samedi 4 juin à Chicago confirme que les biopsies liquides (par analyse du sang) sont sur le point de devenir une alternative crédible. Cette enquête porte sur 17 000 échantillons sanguins prélevés sur plus de 15 000 patients. "La détection de l’ADN circulant dans le sang nous permet notamment d’identifier les mutations qui apparaissent dans les tumeurs secondaires métastatiques, alors que ces signaux ne sont pas présents dans la tumeur principale", explique le Dr Mack.
Ces travaux révèlent la complexité à laquelle sont confrontés les chercheurs en cancérologie. La plupart des tumeurs sont hétérogènes, évoluent dans le temps et donnent naissance à des cellules filles elles-mêmes biologiquement différentes. "La compréhension de cette dynamique et de cette diversité est essentielle pour affiner la prise en charge", souligne le Pr Richard Schilsky. De surcroit, une même altération moléculaire peut se retrouver dans plusieurs cancers et un même médicament peut bloquer plusieurs voies de signalisation. Actuellement, on connaît ainsi 14 types de cancer du poumon et une douzaine de cancers du sein ont été identifiés. Chacun de ces sous-types tumoraux est le produit de mutations spécifiques, justifiable en principe d’un traitement individualisé. Dans la réalité, environ la moitié des médicaments existants est associée à un biomarqueur.
Parallèlement, une équipe de chercheurs de l’université de Californie a annoncé samedi avoir mis au point une méthode originale de détection des mutations des cancers du poumon dans la salive. Selon cette enquête préliminaire (sur 37 patients), cette technique permet de détecter une mutation spécifique du cancer du poumon (EGFR) avec une précision "proche de 100%". Reste maintenant à valider ces techniques de biopsie liquide et à les faire entrer dans les pratiques hospitalières. Pour Richard Schilsky il faut rester prudent car "si on additionne trop de tests, on risque d’introduire de la confusion dans l’esprit des patients et des médecins".
En attendant la généralisation probable des biopsies liquides, la médecine de précision continue de progresser. En France, le dispositif national d’oncogénétique a identifié plus de 49 500 personnes porteuses d’une mutation les prédisposant à un risque élevé de cancer. Depuis 2013, plus de 8 000 patients ont bénéficié d’une analyse moléculaire de leur génome dans le cadre du programme AcSé promu par Unicancer. Ce programme leur permet de bénéficier d’un traitement spécifique (crizotinib) dans le cadre d’un essai clinique sécurisé.
A Gustave Roussy, cette méthode a été étendue aux cancers pédiatriques et les premiers résultats de cette enquête seront présentés le 6 juin. Selon le Pr Gilles Vassal, directeur de la recherche clinique à Gustave Roussy cet essai "confirme que les enfants et les adolescents peuvent désormais bénéficier de la médecine personnalisée dans le cadre d’un essai thérapeutique sécurisé". Le 6 juin, l’ASCO accueillera par ailleurs un visiteur de marque : Joe Biden. Le vice-président américain viendra présenter le programme Moonshot lancé en début d’année par la Maison Blanche. Ce projet prévoit le séquençage d’un million de génomes de citoyens américains volontaires. Ces données viendront alimenter une gigantesque banque de données publique des principales altérations et mutations génétiques responsables des cancers les plus fréquents.
Alain Perez, à Chicago, pour Gustave Roussy