25 avril 2025
Communiqué de presse du Francis Crick Institute
Revue par des pairs
Étude expérimentale
Échantillons humains, animaux et cellules
Des altérations génétiques liées à l’âge dans le sang associées à un mauvais pronostic du cancer
Des chercheurs du Francis Crick Institute (UCL), de Gustave Roussy et du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (MSK) ont découvert que l’expansion de cellules sanguines mutées, un phénomène lié au vieillissement, peut être observée dans des tumeurs cancéreuses, et que cette présence est associée à un moins bon pronostic pour les patients.
Comprendre l’interface biologique entre les altérations génétiques liées à l’âge et les maladies du vieillissement, comme le cancer et les maladies cardiovasculaires, est essentiel pour développer des thérapies préventives à destination d’une population en augmentation.
L’hématopoïèse clonale de signification indéterminée (CHIP) est un état dans lequel les cellules souches du sang accumulent des mutations au fil du temps, influencées à la fois par le vieillissement et par des facteurs environnementaux externes. La CHIP est déjà connue pour être associée à un risque accru de maladies liées à l’âge, telles que les pathologies cardiovasculaires, mais son impact sur l’évolution des cancers solides n’avait pas encore été étudié en profondeur.
Les travaux publiés aujourd’hui dans le New England Journal of Medicine présentent une étude approfondie du lien entre CHIP et cancer, menée auprès de plus de 400 patients atteints d’un cancer du poumon dans le cadre des études TRACERx et PEACE ; financées par Cancer Resarch UK, ainsi que sur un ensemble de données de 49 000 patients atteints de différents types de cancer au MSK.
La CHIP et le pronostic du cancer
Une première analyse d’échantillons de sang a permis à l’équipe de chercheurs d’identifier les patients présentant des mutations CHIP. En croisant ces données avec des données cliniques, les chercheurs ont observé que ces mutations étaient associées à une espérance de vie plus courte, quel que soit l’âge du patient ou le stade du cancer au moment du diagnostic.
Ils ont ensuite examiné plus en détail les patients porteurs d’une CHIP pour déterminer si ces mutations étaient également présentes dans leurs tumeurs pulmonaires, en raison de l’infiltration de cellules sanguines. Ce phénomène a été observé chez 42 % des patients présentant une CHIP, et a été nommé hématopoïèse clonale infiltrant la tumeur (TI-CH). Les chercheurs ont constaté que c’était la présence de TI-CH, et non d’une CHIP seule, qui était associée à un risque accru de rechute et de décès par cancer.
Cette observation a été confirmée par des échantillons de l’étude PEACE, une étude post-mortem portant sur les sites de dissémination métastatique, principale cause de décès par cancer. Les chercheurs ont constaté que les tumeurs métastatiques contenaient souvent des mutations TI-CH.
Des mutations inégales
Pour mieux comprendre le lien entre TI-CH et mauvais pronostic, les chercheurs ont analysé la composition cellulaire des tumeurs pulmonaires. Ils ont constaté que les patients avec TI-CH présentaient une expansion des cellules myéloïdes, un type de cellules immunitaires. Contrairement à d’autres cellules immunitaires capables de détecter et combattre le cancer, les cellules myéloïdes régulent l’inflammation et peuvent favoriser la progression et la dissémination tumorale.
Les chercheurs ont également découvert que les mutations affectant le gène TET2, un régulateur essentiel de la production des cellules sanguines, étaient particulièrement susceptibles d’infiltrer les tumeurs. En analysant des centaines de cellules uniques issues des tumeurs de deux patients porteurs de TI-CH, ils ont confirmé que les mutations TET2 étaient majoritairement présentes dans les cellules myéloïdes, et non dans d’autres types de cellules immunitaires.
En collaboration avec le laboratoire dirigé par Dominique Bonnet au Crick, spécialisé dans les cancers du sang et la CHIP, l’équipe a étudié expérimentalement l’impact des mutations TET2. Ils ont cultivé des organoïdes, c’est-à-dire des mini-tumeurs pulmonaires, avec des cellules myéloïdes mutées sur TET2. Ils ont montré que ces cellules modifiaient le microenvironnement tumoral et accéléraient la croissance des organoïdes.
Étudier au-delà du cancer du poumon
En collaboration avec des chercheurs du Memorial Sloan Kettering Cancer Center (États-Unis), l’équipe a validé ses résultats sur une cohorte de plus de 49 000 patients atteints de différents types de cancer. Globalement, la présence de TI-CH était un facteur indépendant prédictif de survie réduite. Cependant, la fréquence des CHIP et des TI-CH variait selon les types de cancer. Ces mutations étaient plus fréquentes dans les cancers réputés difficiles à traiter, comme les cancers du poumon, ORL, et du pancréas.
Les prochaines étapes consisteront à démontrer que la CHIP contribue directement à l’évolution défavorable des cancers, puis à élucider précisément les mécanismes par lesquels elle influence le développement des cancers agressifs.
Ce travail a été dirigé par Oriol Pich, Elsa Bernard et Maria Zagorulya.
Oriol Pich, chercheur postdoctoral au sein du laboratoire Évolution du cancer et instabilité génomique du Crick, déclare: « Nos résultats montrent que des cellules sanguines porteuses de mutations liées à l’âge peuvent infiltrer les tumeurs et influencer leur évolution, entraînant un pronostic plus défavorable pour les patients. C’est important, car la CHIP est un phénomène naturel du vieillissement, fréquent chez les patients atteints de cancer ».
Elsa Bernard, Group Leader à Gustave Roussy et co-première auteure de l’étude, détaille: « Grâce à l’analyse intégrée de données génomiques à grande échelle et au profilage cellulaire, nous avons pu mettre en évidence une interaction jusque-là insoupçonnée entre le vieillissement hématopoïétique et l’évolution tumorale. Ces résultats ouvrent la voie à de nouvelles approches prédictives du risque de rechute ou de progression du cancer ».
Charlie Swanton, directeur clinique adjoint du Crick, clinicien en chef de Cancer Research UK et investigateur principal de TRACERx, ajoute: « C’est la première fois que nous observons à cette échelle l’interaction entre deux types de proliférations clonales : la CHIP liée à l’âge et le cancer, ce qui nous éclaire sur l’impact du vieillissement sur le risque de cancer. À mesure que nous reconstituons le puzzle des mutations majeures qui apparaissent avec l’âge dans les cellules de la moelle osseuse et leur impact dans les maladies, nous espérons identifier des leviers d’intervention, voire de prévention de certains cancers liés à l’âge ».
Pour plus d’information:
- The Francis Crick Institute. Contact : press@crick.ac.uk ou +44 (0)20 3796 5252
- Gustave Roussy. Contact : claire.parisel@gustaveroussy.fr ou + 33 42 11 50 59
Notes aux rédacteur
Référence : Pich, O. et al. (2025). Tumor-Infiltrating Clonal Hematopoiesis. New England Journal of Medicine. DOI: 10.1056/NEJMoa2413361.
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