Ouvert en décembre 2024, ETNA est un essai clinique pragmatique qui s’adresse aux femmes atteintes d’un cancer du sein triple négatif de stade précoce. Il s’inscrit dans une démarche de désescalade thérapeutique de la chimiothérapie dans le parcours standard de soins en fonction des risques de rechute des patientes. Le Dr Elie Rassy, oncologue médical au sein du comité de pathologie mammaire de Gustave Roussy et co-investigateur d’ETNA, revient en cinq questions sur cet essai clinique.
ETNA est un essai clinique de phase II international, promu par Unicancer et Gustave Roussy. Il s’adresse aux femmes de tous âges, diagnostiquées d’un cancer du sein triple négatif précoce. Le cancer du sein triple négatif représente 10 à 20 % des cancers du sein et a un pronostic plus défavorable que les autres sous-types. Il est considéré comme précoce quand la taille de la tumeur est inférieure ou égale à 2 centimètres, sans atteinte ganglionnaire. Pour être éligibles à cet essai clinique, les patientes doivent également présenter une tumeur chaude.
Une tumeur chaude est une tumeur qui présente une infiltration importante de cellules immunitaires, en particulier de lymphocytes T, dans le microenvironnement tumoral. Cela signifie que le système immunitaire du patient reconnaît et attaque activement la tumeur. Les tumeurs chaudes se caractérisent par un taux élevé de lymphocytes infiltrants tumoraux (TILs). Dans les cancers du sein triple négatif précoces, des études prospectives ont établi qu’un taux d’infiltration lymphocytaire tumorale supérieur ou égal à 30 % était un facteur de bon pronostic. ETNA se base notamment sur une étude publiée en avril 2024 dans le Journal of the American Medical Association, qui a été coordonnée par le Pr Stefan Michiels, biostatisticien et chef du bureau de biostatistique et d’épidémiologie de Gustave Roussy. Cette étude conclut que les patientes opérées d’un cancer du sein triple négatif et dont la tumeur est fortement infiltrée en cellules immunitaires ont un risque plus faible de rechute et un taux plus élevé de survie, même sans chimiothérapie après la chirurgie.
Actuellement, le standard thérapeutique prescrit à l’ensemble des femmes atteintes d’un cancer du sein triple négatif précoce, infiltré en cellules immunitaires ou non, repose sur la chirurgie, précédée ou suivie d’une chimiothérapie et éventuellement de séances de radiothérapie. La chimiothérapie peut être responsable d’effets secondaires importants et impactant la qualité de vie: nausées et vomissement, chute de cheveux, baisse des défenses immunitaires, fatigue, et aussi des neuropathies. Des effets secondaires d’autant plus graves que les cancers du sein triple négatif sont plus fréquents chez des femmes de moins de 40 ans, un âge où un diagnostic de cancer peut tout bouleverser.
Avec ETNA, nous souhaitons démontrer que la désescalade de la chimiothérapie est possible chez les patientes porteuses d’un cancer du sein triple négatif précoce caractérisé par une importante infiltration immunitaire. Si les conclusions de cet essai pragmatique se révèlent positives, ETNA permettra d’établir un nouveau standard thérapeutique à l’échelle mondiale pour toutes les patientes concernées.
Pour ce faire, les patientes recrutées vont être divisées en deux groupes en fonction du taux de TILs : le premier groupe va recevoir après la chirurgie 12 cycles hebdomadaires d’une chimiothérapie couplés à neuf cycles d’immunothérapie. Le second groupe de patientes ne va recevoir ni chimiothérapie ni immunothérapie après la chirurgie. L'ensemble des patientes vont ensuite être surveillées tous les 6 mois pendant 5 ans. Pour déterminer s’il est possible de ne pas donner de chimiothérapie au sein de cette population de patientes, nous allons nous baser sur plusieurs critères d’évaluation, dont la survie sans maladie invasive, la survie sans récidive à distance, la survie globale, le taux de récidive locorégional et encore la qualité de vie des patientes.
ETNA est une étude internationale entre la France et l’Espagne. Gustave Roussy est co-coordinateur de cet essai clinique avec Unicancer. Cela signifie que Gustave Roussy va coordonner ETNA entre les 45 centres partenaires, répartis entre la France et l’Espagne. Les coordinateurs principaux sont la Dr Barbara Pistilli, cheffe du comité de pathologie mammaire de Gustave Roussy, la Dr Mafalda Oliveira du Vall d’Hebron Institute of Oncology de Barcelone, et moi-même. Les inclusions de patientes ont débuté en décembre 2024. Au total, près de 2 000 patientes vont être évaluées, et 216 d’entre elles vont être intégrées dans la première cohorte, 138 dans la deuxième. Gustave Roussy compte recruter plusieurs dizaines de patientes.
L’étude ETNA (NCT06078384) bénéficie d’un soutien financier du Programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) en France et de la Fundación Cris Contra El Cáncer en Espagne.